Première partie d’un exemple tiré de la présentation du séminaire de Félix Guattari sur la Schizo-Analyse du 09/12/80 : le lien pour enregistrer le fichier PDF
La lecture de la présentation du séminaire est ardue, les concepts fourmillent déjà, jusqu’à ce que cet exemple éclaire magistralement la manière par laquelle des éléments a-signifiants influent sur un sujet. Et ainsi, ce qu’on entendrait par schizo-analyse…
(Pour le deuxième partie : http://antioedipe.unblog.fr/2007/11/19/un-exemple-pour-comprendre-la-schizo-analyse-shining-de-kubrick-22/)
« (…) F : On est passé dans le champ où il faut rendre des comptes : tu es assis devant ou tu es assis derrière ? Tu es homme ou tu es femme ? Explique toi ! Tu ne peux pas être partout ! Il y a un langage ! C’est : oui/non, blanc/noir.
(…)
P : D’où ça vient ? D’où vient l’injonction ? À ce propos, je pensais au dernier film de S. Kubrick, Shining.
Pour résumer : un homme est chargé de garder un hôtel, complètement isolé en plein hiver, où il sera seul dans cet immense espace avec sa femme et son gosse. On lui dit qu’il sera très bien payé, nourri, ce sera très bien, il vivra vraiment comme dans un palace (c’en est un). Mais à une condition : il doit savoir, quand même, qu’il y a une histoire. Il s’est passé un drame, ici, il y a quelques années : le gardien a tué à coups de hache sa femme et ses deux filles. C’est pourquoi on a beaucoup de mal à trouver quelqu’un qui veuille bien reprendre la place. Lui, répond que ça lui est bien égal, au contraire ! C’est très drôle ! Très amusant ! « — Mais votre femme n’y verra pas d’inconvénient ? — Mais non, mais non, mais ma femme… » À sa manière de prononcer ces mots, on sent que déjà, de toutes façons, sa femme n’a pas voix au chapitre, la cause est entendue, c’est lui qui décide.
Il se retrouve donc là-dedans et, évidemment, est pris dans l’atmosphère de cet hôtel, qui est décrit vraiment « Kubrick » : c’est 2001, l’odyssée de l’espace, le vide énorme, un hôtel un peu vieux jeu, construit vers 1900, avec d’immenses pièces, des tentures et des meubles très américains, très fastueux et en même temps suranné.
En tant que spectateur, tu commences à vraiment suer l’angoisse alors qu’il n’y a rien du tout : il y a simplement du vide. Effectivement, petit à petit, cet homme est pris dans quelque chose qui est comme une injonction venue d’ailleurs.
Ce qui est très fort, à mon avis, c’est que, dans les moments où il commence à rêver, ou à imaginer, ou à délirer – on ne sait pas très bien, parce que c’est du rêve éveillé – il se trouve dans cet hôtel, cinquante ans auparavant. Alors, tout d’un coup, il y a du monde : il y a un barman qui le sert, etc.. Et on voit apparaître un certain type de relations aux hommes, dans une société où les hommes, les pères de famille étaient, quand même des gens qui se faisaient respecter. Et tous les hommes qu’il rencontre lui renvoient un discours de cette sorte : « Ce n’est pas parce qu’on est en 1980…, qu’il faut que tu te laisses faire par ta bonne femme et ton petit gosse ! »
À un moment donné, il rencontre fantasmatiquement – dans une espèce de délire – un ancien gardien qui lui dit : « Nous sommes là depuis toujours pour garantir – quand même ! – qu’on ne va pas se laisser faire. » C’est le moment où s’approfondit alors, complètement, sa paranoïa, et où, effectivement, il passe à l’acte : il commence à poursuivre sa femme avec une hache, et son gosse aussi.
L’idée géniale de Kubrick, c’est que, s’il n’arrive pas à faire ça, c’est parce qu’il y a, quelque part dans le jardin de l’hôtel, un labyrinthe taillé dans des massifs de buissons : le gosse se sauve dans le labyrinthe, le père n’arrive pas à l’y retrouver, et finalement, meurt de froid ; alors que le gosse, lui, arrive à en sortir.
Ce que j’ai trouvé extraordinaire, c’est l’idée qu’il y avait un lien, une connexion entre l’espace (son architecture, son dessin, le décor, la couleur, la disposition, la grandeur des pièces, la profondeur des couloirs, etc.) et un certain état de société, une certaine éthique, un certain type de fonctionnement des machines familiales, qui pouvait se transmettre tel quel, simplement au travers de ce décor. Du moment qu’il était là, cet homme était pris littéralement, dans une machinerie paranoïaque, transmise par le dix-neuvième siècle : « Tu ne vas pas être un mec moderne, qui fait la vaisselle, et qui se laisse monter dessus par le gamin ! Ça ne va pas du tout ! » Et, de fait, il répond à cette injonction ; il se passe un phénomène de cet ordre.
J’ai trouvé intéressante l’idée que la folie ne vient pas à quelqu’un, nécessairement dans une relation à d’autres sujets ; mais au travers de tout un dispositif architectural, et de décor qui tiennent lieu…
F : d’agencements matériels, de montages.
P : Plus qu’un territoire, c’est toute une culture : ces meubles, cette énorme cuisine, le garde-manger…
F : les idéalités qui sont accrochées aux objets…
P : C’est cela. Une transmission comme ça.
Z : Un autre coup de génie de Kubrick, à propos de l’injonction, c’est la dimension phonétique.
C’est très frappant dès le début du film : dans ce gigantesque hôtel que tu viens de décrire, un môme fait du tricycle : Vrrrrououoummm ! Comme un fou ! très très vite. Il y a, évidemment, une succession de tapis, de marbres, de parquets, etc., et au niveau du son, toute une gamme se met en place, comme des ritournelles qui annoncent cette autre dimension, cet autre plan qui, à un moment donné, va complètement envahir cet homme.
C’est intéressant au niveau de ce que tu disais tout à l’heure : cette hétérogénéité des composantes – composantes complètement a-signifiantes – qui, à un moment donné, vont injecter un processus ; et qui ne font pas du tout appel – disons – à une réserve, à une quantité d’énergie quelconque, mais à des processus qualitatifs, hautement différenciés.
P : C’est vrai ! Le premier moment d’angoisse, c’est le tricycle. Le bruit. Sur le tapis, on n’entend rien, et puis, dès qu’il sort du tapis et qu’il est sur le marbre ! Là tu commences à avoir vraiment peur ! La bande son est extraordinaire !
X : Et la machine à écrire ?
P : Oui ! C’est un élément d’angoisse inouï ! Alors que ce n’est rien du tout ! (C’est quelque chose !)
Bonjour,
J’ai moi-même travaillé il y a quelque temps sur les liens entre Shining et l’ANti-Oedipe.
Je me permets de vous donner le lien :
http://chaffards.over-blog.com/
Bien à vous
[...] à nouveau sous nos yeux, comme par magie… Voilà qui fait puissamment penser à Shining ! Et comme par hasard il s’appelle « Les deux sœurs », en plus ! [...]