• Accueil
  • > Confrontation avec Derrida
  • > Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014

Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014

Le travail de recherche sur le lien entre politique et psychanalyse, de Deleuze à Derrida, continue à travers le groupe facebook.

De temps à autre, des fragments seront prélevés et importés sur le blog afin de rendre lisible les avancées et de mieux suivre le cheminement de la recherche.

Episode précédent : Confrontation Deleuze / Derrida – Fragments – Groupe Facebook 16/07 au 01/08/2014 / Nous sommes revenus sur l’étrange opposition entre Foucault et Deleuze, entre « désir » et « plaisir », à une période où Foucault semblait s’interroger sur « le désir de révolution » et la notion de « répression », pour nous demander si la pulsion de pouvoir interprétée par Derrida ne déborderait pas leurs deux positions respectives. Par cette analyse, ce dernier proposerait-il une autre voie ?

Cette fois, nous allons nous intéresser à cette voie alternative que proposerait Derrida de façon récurrente dans ses textes, et qui ne semblerait pas encore avoir été prise en considération.

——————————————-fragment ————————————–

La psychanalyse ne serait plus à la mode

-  « Une inquiétude devant ce que j’appellerais de façon vague et flottante (mais la chose est essentiellement vague, elle vit d’être flottante et sans contour arrêté), l’air du temps philosophique, celui que nous respirons ou celui qui peut donner lieu à des bulletins de la météorologie philosophique. Or que nous disent les bulletins de cette doxa philosophique ? Que, auprès de nombreux philosophes et d’une certaine « opinion publique », autre instance vague et flottante, la psychanalyse n’est plus à la mode, après l’avoir été démesurément, à la mode, après avoir, dans les années 60/70, repoussé la philosophie loin du centre, obligeant le discours philosophique à compter avec une logique de l’inconscient, au risque de se laisser déloger de ses certitudes les plus fondamentales, au risque de souffrir l’expropriation de son sol, de ses axiomes, de ses normes et de son langage, bref de ce que les philosophes considéraient comme la raison philosophique, la décision philosophique même, au risque de souffrir, donc, l’expropriation de ce qui, associant cette raison, bien souvent, à la conscience du sujet ou du moi, à la représentation, à la liberté, à l’autonomie, semblait aussi garantir l’exercice d’une authentique responsabilité philosophique. Ce qui s’est passé, dans l’air du temps philosophique, si je me risque à le caractériser de façon massive et macroscopique, c’est qu’après un moment d’angoisse intimidée, certains philosophes se sont ressaisis. Et aujourd’hui, dans l’air du temps, on commence à faire comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la prise en compte de l’événement de la psychanalyse, d’une logique de l’inconscient, de « concepts inconscients », même, n’était plus de rigueur, n’avait même plus sa place dans quelque chose comme une histoire de la raison : comme si on pouvait continuer tranquillement le bon vieux discours des Lumières, revenir à Kant, rappeler à la responsabilité éthique ou juridique ou politique du sujet en restaurant l’autorité de la conscience, du moi, du cogito réflexif, d’un « Je pense » sans peine et sans paradoxe ; comme si, dans ce moment de restauration philosophique qui est l’air du temps, car ce qui est à l’ordre du jour, à l’ordre moral de l’ordre du jour, c’est une espèce de restauration honteuse et bâclée, comme s’il s’agissait donc de mettre à plat les exigences dites de la raison dans un discours purement communicationnel, informationnel et sans pli ; comme s’il redevenait légitime, enfin, d’accuser d’obscurité ou d’irrationalisme quiconque complique un peu les choses à s’interroger sur la raison de la raison, sur l’histoire du principe de raison ou sur l’événement, peut-être traumatique, que constitue quelque chose comme la psychanalyse dans le rapport à soi de la raison. » Jacques Derrida, « Let us not forget — Psychoanalysis », The Oxford Literary Review, « Psychoanalysis and Literature », 1990

——————————————-fragment ————————————–

Une voie non explorée proposée par Derrida dans de nombreux textes : La psychanalyse et la reconstruction de l’axiomatique du droit, de tout le discours construit sur l’instance du moi, de la responsabilité consciente, la rhétorique politicienne, la psychiatrie légale etc.

- « [...] Vous êtes l’un des très rares philosophes à s’intéresser à la psychanalyse et à lui donner une place dans votre oeuvre, non seulement comme simple référence mais dans un mouvement de va-et-vient continuel. Y a-t-il à votre intérêt des raisons philosophiques ?

- Sans parler des contenus, à quoi reconnaît-on qu’une écriture - celle des psychanalystes aussi bien que celle des philosophes – ne garde parfois aucune trace de la psychanalyse ? Maintenant, s’il y a quelque affinité entre quelque chose de la « subversion » psychanalytique et l’affirmation « déconstructive », disons, de la philosophie, cette dernière peut aussi viser une certaine « philosophie » de la psychanalyse.

- Que voulez-vous dire par « subversion » psychanalytique ?

- Le mot n’est pas bon, je m’en suis servi par commodité. La psychanalyse devrait obliger à repenser beaucoup d’assurances, par exemple à reconstruire toute l’axiomatique du droit, de la morale, des « droits de l’homme », tout le discours construit sur l’instance du moi, de la responsabilité consciente, la rhétorique politicienne, le concept de torture, la psychiatrie légale et tout son système, etc.
Non pour renoncer aux affirmations éthiques ou politiques, au contraire, pour leur avenir même. Cela ne se fait ni dans la société psychanalytique ni dans la société tout court, en tout cas pas assez, pas assez vite. Voilà peut-être une tâche pour la pensée. Nous vivons tous, à cet égard, dans une dissociation quotidienne, terrifiante et comique à la fois, notre lot historique le plus singulier…» Derrida, Points de suspension, p136

- Une voie en fait qui a commencé à être explorée par René Major dans la revue Confrontations : L’Etat freudien. Cahiers 11, 1984.

——————————————-fragment ————————————–

Qu’est-ce qui résiste à la prise en compte de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique ?

- « Un « sujet », quel qu’il soit (individu, citoyen, Etat) ne s’institue que depuis cette « peur » (la peur que suscite l’idée de l’inconscient), et il a toujours la force et la forme protectrice d’un barrage. Le barrage interrompt, puis il accumule et canalise l’énergie. Car à travers tant de différences à ne jamais oublier, nos sociétés européennes sont toujours dominées par quelque chose comme un « système » éthique, juridique et politique, une Idée du Bien, de Droit et de la Cité (de la citoyenneté et de l’Etat). […]
Ce « système » et cette « Idée » sont avant tout des constructions produites pour résister à ce qui est ressenti comme une menace. Car la « logique de l’inconscient » reste incompatible avec ce qui définit l’identité de l’éthique, du politique et du juridique dans ses concepts, mais aussi dans ses institutions, et donc dans ses expériences humaines. Si l’on prenait en compte sérieusement, effectivement, pratiquement la psychanalyse, ce serait un tremblement de terre à peu près inimaginable. Indescriptible. Même pour les psychanalystes.
Parfois, cette menace sismique passe à l’intérieur de nous-mêmes, à l’intérieur de chaque individu. Dans notre vie, nous le savons bien, nous le savons trop, nous tenons des discours équivoques, hypocrites, dans le meilleur des cas ironiques, structurellement ironiques. Nous faisons comme si la psychanalyse n’avait jamais existé. Même ceux qui sont convaincus, comme nous le sommes, de la nécessité inéluctable de la révolution psychanalytique, et au moins de la question psychanalytique, eh bien, dans leur vie, dans leur langage courant, dans leur expérience sociale, ils agissent comme si de rien n’était, si je puis dire, comme au siècle dernier. Dans toute une zone de notre vie, nous faisons comme si, au fond, nous croyions à l’autorité souveraine du moi, de la conscience, etc., et nous tenons le langage de cette « autonomie ». Nous savons, certes, que nous parlons plusieurs langues à la fois. Mais cela ne change à peu près rien, rien à l’âme ni au corps, au corps de chacun et au corps de la société, au corps de la nation, au corps des appareils discursifs et juridico-politiques » De quoi demain… Derrida (entretien avec Roudinesco), p290, 2001

- On peut se demander qui pourrait supporter une pensée aussi radicale, en tout cas, on y serait attiré par « le courage de sa peur » comme dit Derrida quelque part dans la bête et le souverain, ce n’est pas la radicalité révolutionnaire et violente (souvent accompagnée de bonne conscience) comme on l’entend habituellement, celle-ci semblerait bien plus inquiétante…

——————————————-fragment ————————————–

Pulsion de pouvoir, compulsion de répétition, et déni – des psychanalystes eux-mêmes – ou comment le dire encore autrement ?

- Intervention de Charles Melman, débat qui suit l’exposé de René Major, Ce qui résiste (encore) à l’analyse de la résistance (Etudes freudiennes n°37, octobre 1996)
« J’ai été très sensible, dans l’exposé de René Major, à ce qu’il nous a dit de la compulsion de répétition et de la manière dont celle-ci se présente comme la résistance propre à l’inconscient. Compulsion de répétition, autrement dit : notre souhait fondamental, foncier, de retrouver toujours le réel à la même place, ce qui implique aussi, d’une certaine manière, notre identité, notre personne, nos pensées, nos habitudes, notre style, voire nos symptômes. Accomplir le voyage, mais dans l’assurance que nous retrouverons le port. La question que je poserais à ce propos est de savoir dans quelle mesure ce réel, que nous avons ainsi le souci de retrouver à la même place, ne ressemble pas à nos travaux théoriques, car nous avons là encore cette sorte de tendance, à mes yeux fâcheuse, à veiller à retrouver nos textes, nos exemples, nos familiarités, nos complicités et nos échanges, et à faire, en conséquence, que le réel revienne soigneusement, là encore, à la même place. Or la question qui est si bien posée par Ces Journées, c’est, me semble-t-il, le problème de la résistance à la psychanalyse aujourd’hui […] On comprend bien qu’aujourd’hui la psychanalyse fasse de plus en plus résistance puisque, pour nos amis intellectuels, il est évident que l’existence de l’inconscient constitue un désaveu infligé à leur effort, à leur travail, à la validité de celui-ci, et donc que l’existence même de la psychanalyse vient mettre en péril leur emploi ; on sait non moins bien de quelle façon la psychanalyse met en cause tous les savoirs constitués, qu’ils soient universitaires ou non, puisque l’existence de l’inconscient vient les récuser. On sait enfin de quelle façon la psychanalyse met en cause tous les pouvoirs constitués, puisque l’existence de l’inconscient vient par là même montrer le caractère d’autant plus obligé, d’autant plus nécessaire, d’autant plus totalitaire de ces pouvoirs qu’il est plus factice. On voit donc clairement toutes les raisons sociales, évidentes, criantes, qui font qu’aujourd’hui la résistance à la psychanalyse puisse être vive. Mais le problème, à mes yeux en tout cas, est de savoir quelle est, parmi nous-mêmes, la résistance à la psychanalyse aujourd’hui […] »

- Etant donné le jeu de la compulsion de répétition et la résistance qu’elle constitue, une politique est-elle seulement possible à partir de l’abîme qu’ouvre la psychanalyse ?

- Mais inversement, un changement de coordonnées politiques peut-il avoir lieu sans la prise en compte de la psychanalyse ?

——————————————-fragment ————————————–

- Foucault analyse les dispositifs de pouvoirs et propose des modes de subjectivations pour « résister », mais pour lui, la psychanalyse resterait tributaire et/ou complice des discours de certains de ces dispositifs (et c’est bien le cas de la psychanalyse oedipienne en cabinet).

- Deleuze & Guattari élaborent une stratégie des lignes de fuite et cherchent la machine de guerre qui saura se brancher sur toutes ces lignes de « désir » pour qu’une révolution transforme le paysage et ne reproduise pas un appareil d’Etat

(http://lesilencequiparle.unblog.fr/2014/07/30/cinq-propositions-sur-la-psychanalyse-lile-deserte-et-autres-textes-gilles-deleuze/).

- Derrida pense qu’il s’agit d’intégrer « la psychanalyse » dans l’ordre juridico-politique, et que rien ne pourra se faire sans qu’elle ne soit prise en compte. Il se confronte aux textes fondateurs qui donnent assise à nos démocraties libérales pour les déboulonner rationnellement, méthodiquement. Nous vivrions sur des fondements qui n’en sont plus, d’où, peut-être, cet étrange sentiment d’anachronisme partagé par quelques uns…

——————————————-fragment ————————————–

Foi et savoir, un texte de Derrida (parmi de nombreux autres comme Voyous, La Bête et le souverain, De quoi demain…) qui évoquerait la psychanalyse comme « révolution » urgente et incontournable 

« 42. Dans nos « guerres de religion », la violence a deux âges. L’une, nous en parlions plus haut, paraît « contemporaine », elle s’accorde ou s’allie à l’hypersophistication de la télé-technologie militaire – de la culture « digitale » et cyberespacée. L’autre est une « nouvelle violence archaïque », si l’on peut dire. Elle riposte à la première et à tout ce qu’elle représente. Revanche. Recourant en fait aux mêmes ressources du pouvoir médiatique, elle revient (selon le retour, la ressource, le ressourcement et la loi de réactivité interne et auto-immune que nous tentons de formaliser ici) au plus près du corps propre et du vivant prémachinique. En tout cas de son désir et de son phantasme. On se venge contre la machine expropriante et décorporalisante en recourant – en revenant – à la main nue, au sexe ou à l’outil élémentaire, souvent à l’ « arme blanche ». Ce qu’on appelle les « tueries » et les « atrocités », mots qu’on n’utilise jamais dans les guerres « propres », là où justement l’on ne compte plus les morts (obus téléguidés sur des villes entières, missiles « intelligents », etc.), ce sont les tortures, les décapitations, les mutilations de toute sorte. Il y va toujours d’une vengeance déclarée, souvent déclarée comme revanche sexuelle : viols, sexes meurtris ou mains tranchées, exhibition de cadavres, expédition des têtes coupées, qu’on tenait naguère, en France, au bout d’une pique (processions phalliques des « religions naturelles »). C’est le cas par exemple, mais ce n’est qu’un exemple, dans l’Algérie d’aujourd’hui, au nom de l’islam, dont se réclament, chacun à sa manière, les deux belligérants. Ce sont là aussi les symptômes d’un recours réactif et négatif, la vengeance du corps propre contre une télé-technoscience expropriatrice et délocalisatrice, celle qui se trouve en fait identifiée à la mondialité du marché, à l’hégémonie militaro-capitalistique, à la mondialatinisation du modèle démocratique, sous sa double forme, séculaire et religieuse. D’où, autre figure de la double origine, l’alliance prévisible des pires effets de fanatisme, de dogmatisme ou d’obscurantisme irrationaliste avec l’acuité hypercritique et l’analyse vigilante des hégémonies et des modèles de l’adversaire (mondialatinisation, religion qui ne dit pas son nom, ethnocentrisme à visage, comme toujours, « universaliste », marché de la science et de la technique, rhétorique démocratique, stratégie « humanitaire » ou du « maintien de la paix » par une peacekeepink force, là où l’on comptera jamais de la même façon les morts du Rwanda et ceux des Etats-Unis d’Amérique ou d’Europe). Cette radicalisation archaïque et apparemment plus sauvage de la violence « religieuse » prétend, au nom de la « religion », réenraciner la communauté vivante, lui faire retrouver son lieu, son corps et son idiome intacts (indemnes, saufs, purs, propres). Elle sème la mort et déchaîne l’autodestruction dans un geste désespéré (auto-immun) qui s’en prend au sang de son propre corps : comme pour déraciner le déracinement et se réapproprier la sacralité intacte et sauve de la vie. Double racine, double déracinement, double éradication.

43. Double viol. Une « nouvelle cruauté » allierait donc, dans des guerres qui sont aussi des guerres de religion, la calculabilité technoscientifique la plus avancée à la sauvagerie réactive qui voudrait s’en prendre immédiatement au corps propre, à la chose sexuelle – qu’on peut violer, mutiler ou simplement dénier, désexuer – autre forme de la même violence. Est-il possible de parler aujourd’hui de ce double viol, d’en parler d’une façon qui ne soit pas trop sotte, inculte ou niaise, en « ignorant » la « psychanalyse » ? Ignorer la psychanalyse, cela peut se faire de mille façons, parfois à travers un grand savoir psychanalytique mais dans une culture dissociée. On ignore la psychanalyse tant qu’on ne l’intègre pas aux discours aujourd’hui les plus puissants sur le droit, la morale, la politique, mais aussi la science, la philosophie, la théologie, etc. Il y a mille manières d’éviter cette intégration conséquente, y compris dans le milieu institutionnel de la psychanalyse. Or la « psychanalyse » (il nous faut aller de plus en plus vite) est en récession dans l’Occident : elle n’a jamais franchi, effectivement franchi, les frontières d’une partie de la « vieille Europe ». Ce « fait » appartient de plein droit à la configuration de phénomènes, signes, symptômes que nous interrogeons ici au titre de la « religion ». Comment prétendre à de nouvelles Lumières pour rendre compte de « ce retour du religieux » sans mettre en œuvre au moins quelque logique de l’inconscient ? Sans y travailler, au moins, et à la question du mal radical, de la réaction au mal radical qui se trouve au centre de la pensée freudienne ? Une telle question ne se laisse pas séparer de tant d’autres : la compulsion de répétition, la « pulsion de mort », la différence entre « vérité matérielle » et « vérité historique » qui s’imposa d’abord à Freud au sujet de la « religion », précisément, et s’élabora en premier lieu au plus près d’une interminable question juive. Il est vrai que le savoir psychanalytique peut lui aussi déraciner et réveiller la foi en s’ouvrant à un nouvel espace de la testimonialité, à une nouvelle instance de l’attestation, à une nouvelle expérience du symptôme et de la vérité. Ce nouvel espace devrait être aussi, quoique non seulement, juridique et politique. […] » (Derrida, Foi et Savoir, 1996)

- L’exemple du nouveau Califat ou Etat Islamique 

——————————————-fragment ————————————–

Un an après l’anti-oedipe, Deleuze et Guattari passent de la schizo-analyse à la pensée d’une machine de guerre qui tiendrait compte de toutes les lignes de fuite 

- »(…) Voilà le problème de la révolution : comment une machine de guerre pourrait tenir compte de toutes les fuites qui se font dans le système actuel sans les écraser, les liquider, et sans reproduire un appareil d’État ? Alors quand Jervis dit que notre discours se fait de plus en plus politique, je crois qu’il a raison, parce que, autant nous insistions, dans la première partie de notre travail, sur de grandes dualités, autant nous cherchons à présent le nouveau mode d’unification dans lequel, par exemple, le discours schizophrénique, le discours drogué, le discours pervers, le discours homosexuel, tous les discours marginaux puissent subsister, que toutes ces fuites et ces discours se greffent sur une machine de guerre qui ne reproduise pas un appareil d’État ni de Parti. C’est pour cela même que nous n’avons plus tellement envie de parler de schizoanalyse, parce que cela reviendrait à protéger un type de fuite particulier, la fuite schizophrénique. Ce qui nous intéresse, c’est une sorte de maillon qui nous ramène au problème politique direct, et le problème politique direct est à peu près celui-ci pour nous : jusqu’ici, les partis révolutionnaires se sont constitués comme des synthèses d’intérêts au lieu de fonctionner comme des analyseurs de désirs des masses et des individus. Ou bien, ce qui revient au même : les partis révolutionnaires se sont constitués comme des embryons d’appareils d’État, au lieu de former des machines de guerre irréductibles à de tels appareils. (…) » Deleuze, Cinq propositions sur la psychanalyse / 1973 -http://lesilencequiparle.unblog.fr/2014/07/30/cinq-propositions-sur-la-psychanalyse-lile-deserte-et-autres-textes-gilles-deleuze/

——————————————-fragment ————————————–

La psychanalyse (en dehors de la psychanalyse), nouvelle machine de guerre qui tiendrait compte de la pulsion de pouvoir ?

- Si on retourne la proposition de l’extrait précédent, des analyseurs de désirs des masses et des individus qui éviteraient de devenir des partis de pouvoir pourraient-ils surgir ? Certains phénomènes / dispositifs sur le web et les réseaux sociaux en donneraient peut-être un bon exemple aujourd’hui (avec leurs participations aux révolutions arabes même si, elles aussi, auraient mal tourné…) ? Mais peut-on donner consistance à un mouvement révolutionnaire sans dispositif de pouvoir, en restant connecté sur les « masses » et les « individus » et en évitant une reterritorialisation « institutionnelle » qui écrêterait les lignes de désir ?

- Quelles nouvelles énonciations collectives et quels types d’institutions offriraient cette fluidité entre désir et politique ? Sont-elles en train de donner lieu à un nouveau paysage ? Mais ne rencontrent-elles pas également une limite qui ne leur permettrait pas d’atteindre un seuil de consistance, de rivaliser avec les coordonnées en place ?

- Y aurait-il une séparation stricte entre synthèse d’intérêts et désirs des masses et individus ? Y aurait-il une différence essentielle dans la façon de poser le problème en terme de désir plutôt que d’intérêt ? Peut-être…

- Mais les désirs des individus ne risquent-ils pas de devenir contradictoires ? De même que leurs intérêts ? Comment regrouper les individus (par masse ou communauté ou xyz) en considérant que ces agrégats ne risquent pas eux aussi de se diviser et de lutter les uns contre les autres ?

- Surtout s’il s’agit de tenir compte de la pulsion de pouvoir.

- En reprenant cette pulsion analysée par Derrida, quelle machine de guerre serait alors en mesure de tenir compte de tous ces discours marginaux, de la décomposition des codes, de la question de la croyance, sans reproduire un appareil d’Etat et sans être dupe d’une pulsion de pouvoir qui opérerait en réalité immédiatement au niveau du désir (plutôt qu’elle ne serait l’effet d’une reterritorialisation fatale du désir en dispositif de pouvoir) ?

- hypothèse et exemple, combien de groupes dits « révolutionnaires » et « dupes » de la pulsion de pouvoir fonctionneraient avec des « petits chefs » qui les encadrent, même si ces derniers luttent au nom d’intérêts « communs », ce qui contribuerait peut-être à discréditer davantage la croyance à une alternative à gauche pour ceux qui ne sont pas dupes de cette pulsion – cad désormais « la plupart » ?

- hypothèse et exemple, combien de mouvements qui travaillent autour du commun, à travers un discours écologiste, prônent également un retour aux « valeurs » (de la terre par exemple) ou autres archaïsmes ?

- hypothèse et exemple, les « partisans » du « Care » (le « Prendre soin ») – injonction qui est également de l’ordre de emprise sur l’autre, de la pulsion de pouvoir – ça ne serait qu’une nouvelle forme de souveraineté renouvelée sous des aspects apparemment protecteurs (et bien entendu tyranniques).

- Quelle machine s’intéresse aux discours marginaux cités plus haut par Deleuze, et serait attentive à la multiplicité des désirs des individus perçus comme « singularités », et disposerait d’une pratique « auto-immune » qui lui éviterait de se rabattre en dispositif de pouvoir ? La psychanalyse telle qu’elle est pratiquée, et surtout telle qu’elle n’est pas pratiquée de façon majoritaire, et qui resterait donc pour le moment un dispositif de pouvoir ?

- Mais peut-être qu’ »elle » disposerait du « potentiel » pour contribuer à créer cette « machine de guerre » à partir d’un processus auto-immunitaire accéléré en raison/grâce aux attaques qu’elle subirait de plus en plus violentes (et à juste titre du fait de s’être constituée elle-même comme dispositif de pouvoir) et du risque de sa mise à l’écart ? Une machine de guerre qui porterait la « psychanalyse » en dehors de la « psychanalyse », qui serait en mesure de penser des institutions où la pulsion de pouvoir ne serait pas occultée (et non le jeu du pouvoir qui lui est pensé dans toutes nos vieilles institutions existantes à partir de l’héritage des Lumières, et il faudra dé-montrer où se situe la différence entre ce pouvoir pensé depuis l’héritage classique des Lumières et le fait de penser la pulsion de pouvoir à partir de la psychanalyse…) ? Machine qui contaminerait le champ juridico-politique et s’allierait aux nouvelles énonciations collectives ?

- Y a-t-il le moindre signe de cette deterritorialisation ? Alors, sous quelle forme ? A travers quel processus ?

Episode suivant : La nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors du champ de la psychanalyse – Fragments – Groupe Facebook 01/09 au 18/09/2014 /

Laisser un commentaire