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Repenser la fondation d’une autorité à partir d’une critique de tout fondement – pour une politique de l’hospitalité ? Du 20/09 au 05/11/2014

Mercredi 5 novembre 2014

Le travail de recherche sur le lien entre politique et psychanalyse, de Deleuze à Derrida, continue à travers le groupe Facebook.

De temps à autre, des fragments seront prélevés et importés sur le blog afin de rendre lisible les avancées et de mieux suivre le cheminement de la recherche.

Episodes précédents :

Confrontation Deleuze / Derrida – Fragments – Groupe Facebook 16/07 au 01/08/2014 / Nous sommes revenus sur l’étrange opposition entre Foucault et Deleuze, entre « désir » et « plaisir », à une période où Foucault semblait s’interroger sur « le désir de révolution » et la notion de « répression », pour nous demander si la pulsion de pouvoir interprétée par Derrida ne déborderait pas leurs deux positions respectives. Par cette analyse, ce dernier proposerait-il une autre voie?

Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014 / Puis nous nous sommes intéressés à cette voie alternative que proposerait Derrida de façon récurrente dans ses textes, et qui ne semblerait pas encore avoir été prise en considération : la prise en compte de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique et la résistance que la notion de « pulsion de pouvoir » rencontre au sein même du champ de la psychanalyse, avant de nous interroger sur le potentiel de la psychanalyse comme machine de guerre.

La nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors du champ de la psychanalyse – Fragments – Groupe Facebook 01/09 au 18/09/2014 /Nous avons insisté sur la crise que connaît la psychanalyse, et la nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors de son propre champ pour repenser nos coordonnées juridico-politiques.

De la notion de souveraineté à celle de pulsion de pouvoir – Fragments – Groupe Facebook du 20/09 au 05/10/2014 / Nous nous sommes interrogés sur le remplacement du concept pur de souveraineté par la prise en compte de la pulsion de pouvoir.

Cette fois, nous allons nous interroger sur la possibilité de penser la fondation d’une autorité sans recours à un fondement quelconque, des discours religieux, aux discours qui naturalisent le lien à l’autre (« fraternité » ou « peuple » par exemple) pour ouvrir à un tout autre rapport à soi et à l’autre.

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La différence entre penser en terme de « pouvoir » et de « pulsion de pouvoir »

Il faudrait démontrer où se situe la différence entre le « pouvoir » pensé depuis l’héritage classique des Lumières et le fait de penser la pulsion de pouvoir à partir de la psychanalyse et de Derrida…

Le dernier séminaire de Derrida de la « Bête et le souverain » parle de la question de la fable et de la croyance. Quel que soit le système dans lequel on se trouve lié, il nécessite de la croyance, mais Derrida travaille sur la déconstruction de la souveraineté pour justement déconstruire les fondements de certaines croyances. Par exemple, les fondements de l’Etat, le prothétatique qui s’appuie sur une anthropologie, Hobbes, Rousseau, Bodin etc, qui conduit à un contrat social qui fait la distinction entre intérêt individuel et bien commun.
Or, dans ce système, il s’agit avant tout de se lier dans un rapport à soi avec une désaffection pour l’Etat, prothèse vide et neutre.
Penser également la relation à l’économie où il s’agit avant tout, pas même d’échanger comme on le répète, mais d’acheter et vendre des marchandises, rapport uniquement à soi, avant ensuite de décider de façon unilatérale et souveraine de son rapport aux autres, et de la répartition de cette valeur obtenue en premier lieu pour soi (ce qui renvoie à l’analyse de l’anti-oedipe, où le capitalisme deterritorialise tous les codes et rabat les sujets sur oedipe – les proches et la famille – dans un cynisme généralisé où l’on ne croit plus en rien).

C’est là que la pulsion de pouvoir permettrait peut-être d’éclairer ces questions (pulsion qui dépasse bien entendu la question de la recherche individuelle du pouvoir) pour interroger au-delà de la notion de sujet ou d’individu, comment un ensemble se lie à lui-même, et pourquoi nous n’arrivons plus à nous lier à nos démocraties libérales auxquelles nous ne croyons plus, mais où l’édifice reste extrêmement solide.

Reprenons la définition de Derrida de la pulsion de pouvoir : « Il n’y a que du plaisir qui se limite lui-même, de la douleur qui se limite elle-même, avec toutes les différences de forces, d’intensité, de qualité qu’un ensemble, un corpus, un « corps » peut supporter ou « se » donner, se laisser donner. Un « ensemble » étant donné, que nous ne limitons pas ici au « sujet », à l’individu, encore moins au « moi », au conscient ou à l’inconscient, non davantage à l’ensemble comme totalité de parties, une forte stricture peut donner lieu à « plus » de plaisir et de douleur que, dans un autre « ensemble » […]. La force de stricture, la capacité de se lier, reste en rapport avec ce qu’il y a à lier (ce qui donne et se donne à lier), la puissance liant le liant au liable. […] Si ce mot (l’ensemble) doit renvoyer à une « unité » qui n’est rigoureusement ni celle du sujet, ni celle de la conscience, de l’inconscient, de la personne, de l’âme et/ou du corps, du socius ou d’un « système » en général, il faut bien que l’ensemble en tant que tel se lie à lui-même pour se constituer comme tel. Tout être-ensemble, même si sa modalité ne se limite à aucune de celles que nous venons de mettre en série, commence par se-lier, par un se-lier dans un rapport différantiel à soi. Il s’envoie et se poste ainsi. Il se destine. […].Il y aurait, liée à la stricture et par elle, une valeur de maîtrise qui ne serait ni de la vie ni de la mort. […] » P 428, 429, 430 Spéculer sur Freud dans La carte postale, J. Derrida

Dans notre organisation, le lien de l’ensemble est un lien qui fonctionne sur le fondement du droit naturel et de l’Etat, fable déconstruite autour des notions de liberté pure, etc, et sur laquelle les experts ne reviennent jamais et font reposer leurs désirs de réformes et leurs raisonnements. Ils s’appuient donc sur toute une métaphysique de la souveraineté qu’il ne leur vient pas à l’esprit d’interroger (Piketti par exemple), étant donné qu’il s’agit du soubassement sur lequel reposent toute notre politique et notre économie, et que les alternatives comme le communisme au nom d’une vérité n’ont donné lieu qu’à des totalitarismes. Bref, on ne voit pas comment ils pourraient ne pas être sceptiques et faire autrement que se cantonner à ces positions. Question donc de la résistance devant ce très vieil édifice qui produit nos subjectivités, et que la pulsion de pouvoir permettrait peut-être de repenser.

C’est là où Derrida pourrait déplacer le jeu. On ne pourrait pas sortir de la fable, mais il faudrait peut-être repartir d’une fable en tant que fable (à partir de notre capacité à croire et à ne pas croire en même temps) plutôt que d’une « imposture » qui s’appuierait sur des fondements (avec les discours tout à fait rationnels mais non déconstruits où l’on explique qu’il faut faire porter le poids d’une dette à tel pays etc).

Par exemple, un économiste spécialiste sur la question du crédit, même s’il reconnaît une dette originelle et symbolique au-delà de l’économie, ne semble pas voir que ce système de crédit s’adosse sur un type de crédit particulier qui tient avant tout d’un certain rapport à soi, où l’on se fait d’abord « crédit à soi-même » à partir d’un concept de liberté individuelle (la souveraineté) via la médiation d’institutions qui garantissent notre fiabilité, mais où l’ensemble n’est qu’une prothèse désincarnée qui n’engage pas affectivement ceux qu’elle protège. Ce système de crédit repose sur l’ipséité, sur la souveraineté, qui, pourtant, n’est plus une valeur très sûre après la déconstruction derridienne, bien qu’elle tienne encore l’ensemble de nos organisations et qu’on ne peut pas s’en débarrasser simplement au nom d’une « vérité » ou d’une « libération ».

L’enjeu (et la difficulté) de notre époque serait peut-être d’opérer un déplacement du côté de la fable, sortir de tout un rapport au fondement qui a structuré nos civilisations, et qui conduit à nos interrogations constantes sur l’identité, des guerres de religion au nom d’un Dieu « mort », etc. Pour ce déplacement, la révolution a déjà eu lieu et serait pourtant encore à venir : la psychanalyse, qui permet de déjouer ces rapports aux fondements pour inventer une toute autre politique à travers un autre rapport au lien (et en dépassant le cadre de la psychanalyse à des fins thérapeutiques)

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En finir avec la nationalité ?

« Autrement dit, l’effectivité du lien amical, ce qui lui assure la constance au-delà des discours, c’est bien la parenté réelle, la réalité du lien de naissance (è tô onti suggéneia). À la condition d’être réelle — et non seulement dite ou posée par la convention -, cette syngénéalogie assure durablement la force du lien social dans la vie et selon la vie.
(Nous insistons sur cette condition : condition rêvée, ce que nous appelons ici un phantasme, car un lien généalogique ne sera jamais purement réel ; sa réalité supposée ne se livre jamais à aucune intuition, elle est toujours posée, construite, induite, elle implique toujours un effet symbolique de discours, une « fiction légale », comme le dit Joyce, dans Ulysses, au sujet de la paternité. Et c’est aussi vrai, plus vrai que jamais, quoi qu’on en ait dit, y compris jusqu’à Freud, de la maternité. Toutes les politiques, tous les discours politiques de la « naissance » abusent de ce qui ne peut être à cet égard qu’une croyance : rester une croyance, diront certains, ou tendre à un acte de foi, diront d’autres. Tout ce qui dans le discours politique en appelle à la naissance, à la nature ou à la nation – voire aux nations ou à la nation universelle de la fraternité humaine -, tout ce familialisme consiste à re-naturaliser cette « fiction ». Ce que nous appelons ici la « fraternisation », c’est ce qui produit symboliquement, conventionnellement, par engagement assermenté, une politique déterminée. Celle-ci, à gauche ou à droite, allègue une fraternité réelle ou règle la fraternité spirituelle, la fraternité au sens figuré, sur cette projection symbolique d’une fraternité réelle ou naturelle. Qui a jamais rencontré un frère ? Utérin ou consanguin (germain) ? Dans la nature ?) » (Derrida, Politiques de l’amitié, Galilée, p 214)

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Faut-il garder le mot « peuple » ?

« Ainsi J.-L. Nancy rappelle-t-il un échange bref et instructif entre J. Derrida et lui, au cours d’un dialogue que nous avons partagé[3] : « A l’occasion d’une conférence que j’ai donnée lors du colloque de Cerisy consacré à J. Derrida, intitulé La démocratie à venir, j’ai rédigé un texte sur la notion de « peuple »[4]. Quand j’eus fini mon exposé, Derrida me déclara : « j’aurais pu dire tout ce que tu as dit, mais pas avec le mot « peuple » ; à quoi je répondis : « oui, mais alors donne m’en un autre », et lui : « je ne sais pas, mais pas « peuple ». Cette petite anecdote est intéressante car elle montre que Derrida a les mêmes réticences envers ce terme qu’envers « communauté » ( « trop juif ») ou « fraternité » (« trop chrétien »). Mais justement « peuple », c’est différent … Il n’empêche que Derrida exprime, par son embarras, celui de notre situation philosophique actuelle ; en certains endroits nous manquons de mots ».
http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2014/10/communaute-et-fraternite-un-differend.html

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Constitution post-derridienne, essai plus ou moins parodique…

On révèle l’effet fictionnel de la croyance au droit, on retire les fondements, on retire le « peuple » et la souveraineté, on remplace « nationalité » par « citoyenneté », on garde les droits de l’homme en parlant d’invention, on rajoute une clause contre l’implosion du territoire, etc

PRÉAMBULE (actuel)
Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004.
En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique.

Et la nouvelle version
Par la présente Constitution s’invente la citoyenneté dite « française » qui liera tous les citoyens rattachés aux territoires et espaces disséminés dit « français » comme s’ils étaient eux-mêmes les signataires de cet engagement qui leur servira de cadre légal commun.
Pourra prétendre à cette citoyenneté dite « française », tout habitant (et les sdf ?) des territoires et espaces disséminés dit « français », et cet ensemble sera conventionnellement nommé « les citoyens français ». Tout « citoyen français » disposera automatiquement de la « citoyenneté européenne ».
Les « citoyens français » s’attachent, toujours par la présente et constitutive fiction, au respect des Droits de l’homme tels qu’ils ont été inventés par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 et par la présente Constitution (référence au paragraphe x), ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004 et 2018.
En vertu de cette fiction performative, la République offre aux territoires et espaces disséminés qui manifestent la volonté d’adhérer à cet ensemble, des institutions nouvelles ouvertes sur un projet commun de coexistence en dehors de tout rapport à un fondement ou principe, qu’il soit d’ordre religieux, scientifique, national, sexuel ou moral, en vue de leur évolution démocratique.
Sur l’ensemble des territoires et espaces disséminés gérés par la République de façon ultra-décentralisée et sous forme de régions, il ne sera possible à aucun groupe, parti, population de déclarer son indépendance sous forme d’un Etat ou de toute autre entité (on n’éviterait pas la question de la souveraineté donc…). Il sera en revanche possible à des citoyens français de renoncer à leur citoyenneté, tout en restant libres de circuler, de travailler et d’habiter ces territoires.
Les « citoyens français » pourront cumuler leur citoyenneté française à d’autres citoyennetés, géographiques et non géographiques, réelles ou virtuelles, la nationalité française étant, quant à elle, d’ors et déjà abolie.
La France multipliera les accords avec les pays ou autres entités qui entretiennent des systèmes de citoyenneté similaires.

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« Modification de « fondée » par « ouverte » : « Au début de la première conférence de la fondation, Satoshi Ukai a proposé de ne pas utiliser l’expression : « fonder l’association pour la deconstruction », mais de dire plutôt: « ouvrir l’association ».) Ouvrir « l’Association pour la déconstruction »

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Sur la nécessité de ne plus faire appel à la notion de fondement, et d’un décapage des corpus qui nous » li(e)raient encore

« L’être n’est pas comme une chose indemne. Il n’est que l’orientation incalculable d’une disposition que Heidegger nomme « Dasein », un être-là ouvert dans la fiction qui cherche, tente, lance des questions sans objets, traverse des mondes qui ne sont pas substantivés par l’ontologie. Dans ces ruines circulaires, « il ne s’agit pas seulement de substituer une métaphore à une autre sans le savoir : cela, c’est ce qui s’est toujours produit au cours de l’histoire, de cette histoire universelle dont Borges dit qu’elle n’est peut-être que l’histoire de quelques métaphores ou l’histoire de diverses intonations de quelques métaphores » (p. 279). L’Histoire ne cesse de ravaler une métaphore par une autre qu’elle juge plus éclairante en un progrès qui rend insensible l’utopie fictive qu’elle habite. Il s’agit alors de se replacer au plus près de la fiction quand la chose manque, quand le référent n’a aucun pouvoir de la remplir. Alors on pourrait bien dire avec Borges que la métaphysique est une fiction qui ne le sait pas. L’être ne devient une question que par la force d’habiter dans l’absence de toute référence quand ne restent que des histoires à raconter, des histoires qui, au lieu de se substituer à la chose et de nous la montrer dans son origine et son Absolu, nous disent surtout qu’elle n’est pas, qu’elle manque, et que l’être doit désormais s’écrire non pas comme une icône de Dieu mais bien mieux en le biffant d’une croix. » http://www.ruedescartes.org/articles/2014-3-de-l-art-de-raconter-des-histoires/3/

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La théorie du performatif contre le droit naturel et le contrat social

« [...] La théorie du performatif s’oppose ici à toute théorie du contrat social comme simple sortie de la nature qui impose sa dimension constative à l’excès performatif qui fonde la loi : la « légalité » qui fonde un État est ainsi déjà contaminée par une sorte d’ « illégalité » constitutive, un recours originaire à la force. La tension entre la force et le droit qui fonde la politique ne doit et ne peut pas être simplement niée ou illusoirement résolue, puisqu’elle permet de penser une injustice inscrite au cœur même de la loi et donc d’y opposer une nouvelle forme de justice. Par exemple[10], Nelson Mandela (tout en étant juriste de formation et en admirant la démocratie parlementaire) a refusé de maintenir la lutte du Congrès National Africain dans le cadre constitutionnel, tel qu’il était alors fixé en Afrique du Sud. Il a ainsi rappelé que cette loi constitutionnelle n’avait eu pour auteurs et bénéficiaires qu’une partie extrêmement réduite de la population, celle de la communauté blanche. À travers la Charte de la liberté, qu’il a promulguée en 1955, Mandela a rappelé que, en Afrique du Sud, la violence originaire avait été trop grande, excessive, impossible à oublier (comme dans tous les cas d’États fondés sur un génocide ou une quasi-extermination). Il a ainsi opposé au coup de force originaire de la minorité blanche une nouvelle entité ethno-nationale, un autre ensemble populaire formés de tous les groupes qui habitent l’Afrique du Sud et qui demandait un nouvel acte performatif pour pouvoir à son tour se constituer en État : « À tous les sens de ce terme, Mandela reste donc un homme de loi. Il en a toujours appelé au droit même si, en apparence, il lui a fallu s’opposer à telle ou telle légalité déterminée, et même si certains juges ont fait de lui, à un moment donné, un hors-la-loi[11] ». L’acte performatif qui, en 1955, ne pouvait s’exprimer qu’au futur, a donné lieu en 1994 à la transition inattendue au terme de laquelle le régime de l’apartheid a pris fin, en offrant un exemple rare de résolution pacifique d’un long conflit interne dans le continent africain. [...] » http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/11/derrida-et-le-terrorisme-manola.html

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Peut-être repenser la fondation d’une autorité à partir d’une critique de tout fondement ?

« L’origine de l’autorité, la fondation ou le fondement, la position de la loi ne pouvant par définition s’appuyer finalement que sur elles-mêmes, elles sont elles-mêmes une violence sans fondement. Ce qui ne veut pas dire qu’elles sont injustes en soi, au sens de « illégales » ou « illégitimes ». Elles ne sont ni légales ni illégales en leur moment fondateur. Elles excèdent l’opposition du fondé et du non-fondé, comme de tout fondationnalisme ou de tout antifondationnalisme. Même si le succès d’un performatif fondateur d’un droit (par exemple, et c’est plus qu’un exemple, d’un Etat garant d’un droit) supposent des conditions et des conventions préalables (par exemple dans l’espace national ou international), la même limite « mystique » resurgira à l’origine supposée desdites conditions, règles ou conventions – et de leur interprétation dominante. (J. Derrida, Force de loi, Galilée, p 34) »

Peut-on penser la fondation d’une autorité sans fondement à partir du quasi-concept derridien de « pulsion de pouvoir », (confronter cette notion qui redéfinit la question du lien, à la façon dont le lien est pensé en droit classique par le nexus, contrat social, etc.). A partir de cette redéfinition, il s’agirait d’envisager un ensemble qui se lierait à lui-même par sa capacité à ne laisser aucun discours en rapport à un fondement quelconque lui servir de fondation, des discours religieux, aux discours qui naturalisent le lien à l’autre (« fraternité » ou « peuple » par exemple) pour ouvrir à un tout autre rapport à soi et à l’autre, et à une politique de l’hospitalité (dit autrement, intégrer la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique ?).

De la notion de souveraineté à celle de pulsion de pouvoir – Fragments – Groupe Facebook du 20/09 au 05/10/2014

Dimanche 5 octobre 2014

Le travail de recherche sur le lien entre politique et psychanalyse, de Deleuze à Derrida, continue à travers le groupe Facebook.

De temps à autre, des fragments seront prélevés et importés sur le blog afin de rendre lisible les avancées et de mieux suivre le cheminement de la recherche.

Episodes précédents :

Confrontation Deleuze / Derrida – Fragments – Groupe Facebook 16/07 au 01/08/2014 / Nous sommes revenus sur l’étrange opposition entre Foucault et Deleuze, entre « désir » et « plaisir », à une période où Foucault semblait s’interroger sur « le désir de révolution » et la notion de « répression », pour nous demander si la pulsion de pouvoir interprétée par Derrida ne déborderait pas leurs deux positions respectives. Par cette analyse, ce dernier proposerait-il une autre voie ?

Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014 / Puis nous nous sommes intéressés à cette voie alternative que proposerait Derrida de façon récurrente dans ses textes, et qui ne semblerait pas encore avoir été prise en considération : la prise en compte de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique et la résistance que la notion de « pulsion de pouvoir » rencontre au sein même du champ de la psychanalyse, avant de nous interroger sur le potentiel de la psychanalyse comme machine de guerre.

La nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors du champ de la psychanalyse – Fragments – Groupe Facebook 01/09 au 18/09/2014 / Nous avons insisté sur la crise que connaît la psychanalyse, et la nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors de son propre champ pour repenser nos coordonnées juridico-politiques.

Cette fois, nous allons nous interroger sur le remplacement du concept pur de souveraineté par la prise en compte de la pulsion de pouvoir (pour une démocratie à venir).

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L’être en mal de souveraineté

Il faudrait distinguer la pulsion de pouvoir (ou de souveraineté) et l’effet de souveraineté irréductible, de la souveraineté elle-même qui n’est jamais pure (voir Séminaire « La Bête et le souverain »).

« La recherche de la souveraineté sous la forme du souverain bien, l’être en mal de souveraineté, serait hélas indissociable de la possibilité du mal même, de la pulsion de pouvoir (Bemächtigungtrieb) et de la pulsion de destruction, voire de la pulsion de mort.
Nous savons que l’effet de souveraineté – celle-ci fût-elle niée, partagée, divisée –, je ne dis pas la souveraineté elle-même, mais l’effet de souveraineté, est politiquement irréductible.
Mais comment faire pour que cet être en mal de souveraineté légitime et inconditionnelle ne devienne pas une maladie et un malheur, une maladie mortelle et mortifère ? C’est l’impossible même.
La politique, le droit, l’éthique sont peut-être autant de tractations avec cet impossible-là. » Le souverain bien – ou l’Europe en mal de souveraineté 

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Foucault, Au-delà du principe de pouvoir, quand pouvoir et plaisir se mêlent et brouillent l’identification des dispositifs de pouvoir

« Une question se pose alors que, faute de temps, je formule de façon schématique. S’il n’y a plus le pouvoir, un pouvoir unique et centralisateur, comment identifier ces mécanismes, ces dispositifs structurants qui accouplent pouvoir et plaisir dans ce que Foucault appelle « les spirales perpétuelles des pouvoirs et des plaisirs » ? Plus précisément, à quoi reconnaît-on que ces dispositifs sont du pouvoir ? À quoi reconnaît-on qu’ils ont ceci en commun qu’ils portent, supportent, admettent ce nom commun de pouvoir – ou d’ailleurs aussi bien, de plaisir ?  »
Au-delà du principe de pouvoir

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Y aurait-il une tentative chez Derrida de « dépasser » la notion de souveraineté ? Par quel déplacement ?

L’impression de lire de façon continue chez Derrida la nécessité d’ouvrir un chantier juridique qui bouleverserait nos coordonnées en se débarrassant du concept pur de souveraineté (bien qu’il maintienne de façon contradictoire la nécessité de cette notion pour lutter contre les excès des multinationales, mafias, etc). Or, cette perspective ne semble pas intéresser les lecteurs de Derrida, et aucune passerelle avec des laboratoires de recherche en droit ne semble avoir été dressée.

Préalable : s’agit-il tant de modifier les textes qui portent nos régimes de pouvoir que de proposer des techniques bouleversantes dans la façon de les interpréter ?

Petit échange de mail (un peu revu) avec Elise Lamy-Rested

- Une des références qui me paraît assez claire de Derrida, même si on pourrait dire, oui, mais, etc : « ce dont il faut partir, ce n’est plus du concept pur de souveraineté mais des concepts tels que pulsion, transfert, transition, traduction, passage, partage. » p 388, La Bête et le Souverain, édition française du tome 1.
Mon intuition sur la crise de la gauche tient dans la différence entre pulsion de pouvoir (concept quasi-transcendantal), et la notion de souveraineté (héritage métaphysique).
Pour le dire grossièrement (voire très bêtement)
D’un côté, la droite assumerait la pulsion de pouvoir et le fantasme de souveraineté, mais en restant dupe d’une croyance à cette notion dans sa pureté, pourtant « impossible, impure, etc, » (que démontre Derrida) ce qui lui donne cette fascination stupide pour les chefs, les roitelets, etc qui l’incarnent.
De l’autre, la gauche ne veut pas entendre parler de pulsion de pouvoir, et entretient la croyance en un fondement, à partir de la souveraineté du peuple. Or, la crise de la gauche viendrait d’une contradiction à rester dans une logique de souveraineté en déniant la pulsion de pouvoir, et à proposer de vieilles lunes. Aujourd’hui, l’impossibilité de continuer à croire à la vulgate gauchiste avec ses idéaux, d’autant plus que les partis resteraient structurés avec des chefs, etc. Pulsion de pouvoir également d’un héritage de gauche qui structure tous les appareils, qui transmet ses codes et ses façons d’en jouir, et qu’ils ne veulent pas abandonner de peur d’un effondrement (à mon avis salutaire).
Au lieu du déni de cette pulsion de pouvoir, si la gauche pouvait être en mesure de la penser, de l’assumer libidinalement, et de ne pas la traduire en terme de souveraineté (même populaire en croyant faire un déplacement qui n’en est pas un) ce qui vient donner une assise métaphysique de pureté à cette pulsion quasi-transcendantale, elle trouverait peut-être de quoi se renouveler en traduisant autrement tout le champ politique.
A mon avis, c’est une autre raison pour laquelle Derrida attaque Foucault sur les « dispositifs de pouvoir » qui en évitant de penser en terme de pulsion de pouvoir, est reconduit à une sorte de déni (même si Foucault dirait « qu’il n’y a que du pouvoir »). De même la critique de Derrida contre celle que font Deleuze et Guattari à la psychanalyse, encore une fois en l’analysant comme un dispositif de pouvoir, reconduit ce déni, je crois.

- Merci, je crois que je comprends un peu mieux ce dont tu parles si souvent. Je ne crois pas que Derrida propose de se débarrasser de la souveraineté et je ne pense pas non plus qu’il refuserait l’idée d’une souveraineté des peuples. Comment envisagerais-tu une politique articulée autour de la pulsion de pouvoir ?

- je crois que si, justement (ou qu’il ne le dirait plus de cette façon), c’est une des parties du dernier séminaire, dire que la révolution du peuple ne change pas la structure fondamentale, je retombe p 378, « la souveraineté du peuple ou de la nation n’inaugure qu’une nouvelle forme de la même structure fondamentale. On détruit les murs mais on ne déconstruit pas le modèle architectural… »
Pour détruire le modèle, il faudrait éliminer la notion de souveraineté elle-même et les concepts purs qui portent ce modèle, je crois
Après, une politique articulée autour de la pulsion de pouvoir, eh bien c’est là où y a un chantier immense à ouvrir, un chantier de traduction, à partir des concepts de la psychanalyse sans doute, comme dit l’autre, et ce n’est bien entendu pas encore clair pour le moment

- Donc, il y a bien un au-delà du souverain à partir duquel on peut penser une tout autre politique…

- Serait-ce un au-delà de la souveraineté, mais pas un au-delà de la pulsion de pouvoir ?

- Je vois ce que tu veux dire. Mais que fais-tu des concepts de pardon, d’hospitalité, etc. ? Est-ce qu’il relève de la pulsion de pouvoir aussi ?

- le pardon, l’hospitalité, ça serait en effet l’au-delà de la pulsion de pouvoir. Cette pulsion aurait un au-delà, mais peut-être ne pas le dire comme ça : il faudrait peut-être la penser à travers la notion d’auto-immunité, la façon dont ce qui la défait rentre également dans son économie ?
si c’est plus clair pour toi, n’hésite pas

- En fait, je crois que P. n’a pas tort quand il pense que cet au-delà (le retrait de la phénoménologie ou Khôra) n’est plus lié à une pulsion et autres transferts. Mais je pense qu’il a aussi tort quand il articule autour de lui une logique conceptuelle qui soit complètement délivrée de la pulsion et autres transferts (dont la représentation). C’est le double bind dont on parlait tout à l’heure

- je te suis complètement. Il y a en effet l’idée d’une rupture radicale dans la venue de l’autre où je ne sais où Derrida parle d’un phénomène sans phénomène je crois, bref qui excède la pulsion etc, mais ça reste en relation avec la pulsion, la représentation, etc, double bind comme tu dis

- Alors là, c’est ok. Maintenant, qu’est-ce qui se passe politiquement quand on se débarrasse de la souveraineté ?

- je vais répondre en biais
réfléchir à partir de la notion de pulsion de pouvoir, comment on se lie à un ensemble, Otobiographies parle de ça, à partir de la déclaration d’indépendance de Jefferson, comment elle lie le peuple qui n’existe pas, en l’inventant et en le capturant, à travers la signature  des « représentants », effet d’après coup (de force), hypocrisie de L’Etat, etc, et Derrida parle ensuite de Nietzsche et de la politique du Nom propre, comment Nietzsche se lie à lui-même, se fait crédit sur l’avenir, et Derrida je crois opère un déplacement complet du rapport à l’ensemble auquel on est lié, à travers le cas de l’université en décrépitude, la machine à écouter avec des oreilles géantes et un corps minuscule (flux de savoir à sens unique, étudiants qui s’en foutent des cours, et d’autant plus libres qu’esclaves…), et héritage d’un modèle juridique similaire à celui de la déclaration d’indépendance

- ok. Je discerne à peine ce que tu veux dire…

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Des exemples ? Villes refuges 

VM : Comme disait Deleuze faudrait des exemples… Et quand il y a un exemple je suis (sur l’université ) Sans ça les pulsions de pouvoir semblent tout à fait assumées libidinalement de toutes part, la prétendue gauche n’étant pas en reste (c’est la période décomplexée)… Il manque des dispositifs pour les brider, justement, du genre le tirage au sort, pour remplacer le système électif qui sélectionne les plus prédateurs-séducteurs! Sans oublier que c’est finalement aujourd’hui les managers qui gouvernent, donc je trouve que les questions de Derrida (telles que tu nous les livres, je n’ai pas lu la B et S) sont très décalées par rapport à ce dont nous souffrons, qui me semble beaucoup plus proche des sociétés de contrôle décrites par Foucault et DG, avec des jeux sur le risque et la sécurité, etc. Par contre bien sûr que le mythe de la souveraineté ne nous sert pas à grand chose à part à fonder des réactivités autoritaires… et peut-être qu’en effet la psychanalyse post lacanienne en démontant les illusions moiques (comme le font aussi les divers philosophes sus-nommés) peut ouvrir à des conceptions moins infantiles (et pas souverainistes) du pouvoir, avec des chefs qui n’en sont pas, de l’immaitrisé partout, etc (sauf ce qui s’est passé dans certaines écoles analytiques, bien sur)… Bon finalement je commence à avoir envie de jeter un oeil à Derrida…

EJ : Les exemples, c’est compliqué chez Derrida, car je crois qu’il estime que la prise en compte de nouvelles coordonnées subjectives (comme la psychanalyse) n’ont pas d’exemple (surtout dans les écoles psy et leurs façons de fonctionner… sur lesquelles il ironise souvent) et comme il ne souhaite pas dérouler de programme… Il y en a quand même quelques-uns, comme le collège international de philo même si on ne peut pas appeler ça une réussite, et le concept de villes refuges . Ok sur ce que tu dis sur la gauche et la pulsion de pouvoir, mais les assumer, ne serait-ce pas dénier la question politique qu’elle implique ? Après si Foucault par les sociétés de contrôle semble décrire de façon plus intéressante « l’époque », Derrida lui s’attaque à la souveraineté (par la question du droit par exemple) car il considére que c’est un verrou qui tient l’ensemble du jeu. Tu auras beau décrire les sociétés de contrôle, ça ne donnera peut-être que du jeu pour des « contre-conduites » et des stratégies pour en dévier et en sortir, mais ça ne réinvente pas un modèle juridique. Enfin, pourquoi mettre la psychanalyse au coeur de ces enjeux, je crois que c’est un saut pour sortir de la « croyance » à des restes de « fondement », où les sujets risquent encore d’essentialiser une liberté pure, et ce que tu dis sur les illusions moiques, etc. Pour reprendre D&G, le capitalisme deterritorialse les codes pour rabattre sur oedipe, et l’un des objectifs de la schizoanalyse, c’est le « curetage de l’inconscient », finalement ce qui arrive au cours d’une psychanalyse (quand elle n’est pas oedipienne). Je ne sais pas bien, c’est encore en réflexion tout ça…

VM : Dans mon souvenir la popularisation de l’idée de « refuge » opposé à l’ »asile » (souverain) remonte aussi à cette époque reculée ! Cacciari, je crois.

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Droit, coup de force et croyance

 » S’appuyant sur une des célèbres pensées de Pascal, Derrida met en relief, dans Force de loi, la base critique moderne du légalisme libéral. La pensée en question traite de la relation entre la justice, le droit et la force, et aboutit à la conclusion provocatrice qu’ « il faut donc mettre ensemble la justice et la force ; et pour cela faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste » (p. 28). Pour Derrida, ce passage révèle le fondement de l’autorité du droit et, en même temps, permet la critique moderne du droit, c’est-à-dire « une critique de l’idéologie juridique, une désidémentation des superstructures du droit qui cachent et reflètent à la fois les intérêts économiques et politiques des forces dominantes de la société » (p. 32).
Derrida ajoute cependant à cette critique idéologique une interprétation plus profonde du fondement du droit, à savoir requise pour d’abord créer, inaugurer ou fonder le droit lui-même. Derrida suggère que cette force d’initiation requiert « un appel à la croyance » et représente ainsi « un coup de force » aussi bien que « le mystique » lui-même (p. 32-33).
Derrida explique qu’il s’agit de la « structure déconstructible du droit » (p.35) et elle devient très importante pour lui parce qu’elle rend possible la possibilité de la déconstruction. C’est précisément ce qui le conduit, paradoxalement, à affirmer que « la déconstruction est la justice » : ce qu’il veut dire par là est que c’est précisément l’autot-autorisation du droit – le moment de l’appel à la croyance dans le droit lui-même – qui représente le moment de rupture, d’indétermination et de force, qui rend possible la critique du légalisme formel et représente le moment de la pratique déconstructionniste (…) »
http://bernardharcourt.com/documents/harcourt-derrida.pdf

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La pulsion de pouvoir à travers un exemple, celui de la Résistance

Retombé sur un texte qui traitait de la pulsion de pouvoir (sans que je le sache à l’époque), où il ne s’agit pas de dire bêtement qu’untel veut le pouvoir, c’est un ensemble qui se lie à lui-même de façon quasi-machinique, et cette liaison s’accompagne de plaisir avec un sentiment d’amour pour lui-même et de peur face à la menace d’être délié en perdant sa référence à soi, la peur pour les composants de l’ensemble de déchoir. Phénomène de pétrification de l’ensemble lui-même et du paysage autour de lui qu’il contribue à ne pas modifier pour continuer à jouir de son agencement.
« Qui va décider si notre passé est vivant ou pas ? » demande le vieil homme.
- Ca dépend de ce que vous pensez, vous. Celui qui a pour projet d’aller encore de l’avant définit son ancien moi comme un moi qu’il n’est plus. Au contraire, le projet de certains implique le refus du temps, une étroite solidarité avec le passé. La plupart des vieillards sont dans ce cas. Ils refusent le temps parce qu’ils ont peur de déchoir. Chacun garde la conviction d’être demeuré immuable. Mais dans quelle mesure la mémoire nous permet-elle de récupérer nos vies ? » répond Edgar.
De même, Berthe demandera à sa grand-mère : « Il y a une question que je n’ai jamais osé poser, à grand-papa, non plus. Pourquoi vous avez gardé votre nom de bataille, et pas le vrai […] Vous vous appelez encore Bayard. Pendant la guerre, oui, mais après ? »
Bayard, nom héroïque de chevalier… La vieille femme ne répond pas.
Ce passage entre en résonance avec le temps présent qui semble arrêté. Peut-être peut-on déceler un indice de cette glaciation ?
Si l’on reprend les quatre moments de l’amour, il semble que ces vieillards aient été saisis d’une telle passion pour leur moi héroïque de résistants (deuxième moment de l’amour), qu’ils n’auraient jamais réussi à passer le moment de la séparation. Et comme si ce refus de la séparation avait entravé le mouvement en empêchant les générations suivantes d’exister, le référent ultime restant cette période glorieuse qui aurait émasculé tout devenir. » (Éloge de l’amour… de la mémoire)

Cette pulsion de pouvoir liée au plaisir montre qu’il ne s’agit pas seulement d’analyser le jeu politique en terme de :
- « dispositif de pouvoir » qui ne fait pas état de la jouissance liée à ces dispositifs, et de la fascination qu’ils exercent au delà du principe de pouvoir (voir texte cité précédemment)
- « agencement de désirs » qui ne tient pas compte de la façon de se lier en faisant retour à soi, et de cette pulsionalité (du pouvoir) que constitue l’agencement

Cette notion de pulsion de pouvoir permettrait-elle de mieux analyser ?
- la psychanalyse et son héritage freudien qui s’agrippe à elle-même, et refuse de prendre en compte son reste d’inanalysé (vu précédemment)
- certains mouvements de gauche eux-mêmes prisonniers d’images glorieuses qui les font maintenir des discours dogmatiques, autre héritage
- notre désaffection par rapport aux liens qui nous font encore tenir ensemble sans que nous n’y prenions plus de plaisir et dans un scepticisme toujours plus grand

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D’une logique de la souveraineté à un autre jeu exprimé en termes de pulsion de pouvoir

Nous avons vu :
- « L’auto-autorisation du droit – le moment de l’appel à la croyance dans le droit lui-même – qui représente le moment de rupture, d’indétermination et de force, qui rend possible la critique du légalisme formel et représente le moment de la pratique déconstructionniste »
- La souveraineté du peuple sur le modèle de la déclaration d’indépendance de Jefferson : comment la déclaration lie le peuple en l’inventant et en le capturant, à travers la signature d’un peuple qui n’existe pas, via « ses représentants », effet d’après coup (de force) – voir Otobiographies. Derrida parle ensuite de Nietzsche et de la politique du Nom propre, comment Nietzsche se lie à lui-même, se fait crédit sur l’avenir.

Digression :

Dans une logique classique de la souveraineté, il y a croyance dans la fable d’une « déclaration du peuple » qui sert de fondement constitutionnel à l’ensemble.
Dans un jeu exprimé en terme de pulsion de pouvoir, au lieu d’un crédit fait à une « fable » en tant que « vérité », il y aurait peut-être un autre rapport à la croyance : un « se faire crédit » qui rendrait à la fiction un statut de fiction plutôt que de croyance à un fondement.
Mais dans les deux cas, il y a coup de force du droit, cet appel à la croyance resterait irréductible.

Quelle différence ?
Par exemple, au lieu de se fonder sur des principes de l’ordre de valeurs universelles, par exemple liberté, égalité, fraternité (auxquelles on ne croit plus, et qui portent des formes de domination derrière leur générosité – question de la fraternité chez Derrida dans Politiques de l’amitié), et qui ouvrent un conflit entre un pacte républicain qui entretient des jeux de domination et les multiples autres croyances qui se mettent à proliférer, notamment, en raison du scepticisme face à ce catéchisme républicain qui produit tant de sermons, le même ensemble pourrait se lier dans un rapport à lui-même à partir de l’absence de fondements (et non de fondation). Mieux, il se lierait, plutôt que sur un fondement, à partir d’une hypercritique de tout fondement, ce qui ramène à la question de la psychanalyse, où l’on apprend plutôt que de s’accrocher à des fondements, à s’ouvrir dans un rapport affirmatif à soi et aux autres (repenser la notion d’ « individu », de « soi », Derrida via Levinas, et l’auto-immunité). Déplacement d’une croyance à des arrière-mondes (encore lié à la notion d’identité stricte et au droit naturel, la mort de dieu, etc), à un tout autre « se faire crédit » et faire crédit à « l’autre » (qu’il soit le socius, le voisin, l’étranger, etc). Ouverture à un autre rapport à la foi qui déborde l’ordre théologico-juridique de nos systèmes de droit.

Où on apprend aussi à se débarrasser de la croyance à une souveraineté pure, à une liberté pure qui n’existent pas (comme le démontre le séminaire « La bête et le souverain »), autre fondement à déconstruire. En lien avec la question de l’Etat, et l’héritage des lumières, notamment du contrat social de Hobbes, anthropologie de la guerre, où les « individus » sont amenés à se lier à eux-mêmes et aux « plus proches » dans la désaffection du lien à l’ensemble, prothèse indifférente affectivement à laquelle on s’accroche pour vivre en société.

Question inverse à partir de la pulsion de pouvoir qui mêle plaisir et lien : quel plaisir pourrait-on trouver à se lier à un ensemble qui ne défend pas de fondements ? En creux de cette critique des fondements surgissent des valeurs qui ne s’expriment plus en termes de principes, mais par un mode d’affirmation, le don, l’hospitalité, au-delà du principe de pouvoir, au-delà de la souveraineté, et où le déplacement du jeu en terme de mouvement ouvrirait à une politique nouvelle de l’hospitalité.

 

Episode suivant : Repenser la fondation d’une autorité à partir d’une critique de tout fondement – pour une nouvelle politique de l’hospitalité ? Du 20/09 au 05/11/2014

La nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors du champ de la psychanalyse – Fragments – Groupe Facebook 01/09 au 18/09/2014 /

Jeudi 18 septembre 2014

Le travail de recherche sur le lien entre politique et psychanalyse, de Deleuze à Derrida, continue à travers le groupe Facebook.
De temps à autre, des fragments seront prélevés et importés sur le blog afin de rendre lisible les avancées et de mieux suivre le cheminement de la recherche.

Episodes précédents :

Confrontation Deleuze / Derrida – Fragments – Groupe Facebook 16/07 au 01/08/2014 / Nous sommes revenus sur l’étrange opposition entre Foucault et Deleuze, entre « désir » et « plaisir », à une période où Foucault semblait s’interroger sur « le désir de révolution » et la notion de « répression », pour nous demander si la pulsion de pouvoir interprétée par Derrida ne déborderait pas leurs deux positions respectives. Par cette analyse, ce dernier proposerait-il une autre voie ?

Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014 / Puis nous nous sommes intéressés à cette voie alternative que proposerait Derrida de façon récurrente dans ses textes, et qui ne semblerait pas encore avoir été prise en considération : la prise en compte de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique et la résistance que la notion de « pulsion de pouvoir » rencontre au sein même du champ de la psychanalyse, avant de nous interroger sur le potentiel de la psychanalyse comme machine de guerre.

Cette fois, nous allons insister sur la crise que connaît la psychanalyse, et la nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors de son propre champ.

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Résistance et pulsion de pouvoir : la psychanalyse s’est construite à partir d’un héritage inanalysé et enkysté qu’il faut déconstruire

Derrida pose une question radicale sur l’existence de la psychanalyse elle-même.

- dans « Résistances de la psychanalyse » p47, Derrida écrit : « la lecture que j’ai proposé de Au-delà du principe de plaisir, livre qui commence, comme la conférence de Miguel Giusti, par l’apparition de Méphistophélès et donne la parole, si on peut dire, à l’advocatus diaboli de la pulsion de mort. Or cette lecture tend à reconnaître, dans les paradoxes de la « Bindung » (liaison, enchaînement) et de la « solution » ou de l’« extinction » (Erlöschung), cela même qui relance interminablement l’analyse et la thèse, au-delà de toute Außebung, de toute Setzung et de toute position analytique. Il n’y a pas de position analytique dès lors que la résistance n’est pas identifiable. La position analytique ne peut être, elle, qu’une résistance à cette loi. »

- Cet extrait résonne avec « La carte postale » (p547), lors son échange avec René Major dans « Du tout », lorsque Derrida dit à propos de Freud qu’il aurait eu besoin d’une tranche supplémentaire, et des conséquences de ce reste d’inanalysé : »Alors ce reste d’inanalysé qui le rapporte en dernière instance au dehors absolu du milieu analytique ne jouera pas le rôle d’une frontière, il n’aura pas la forme d’une limite autour du psychanalytique, ce à quoi le psychanalytique comme théorie et comme pratique n’aurait hélas pas eu accès, comme s’il lui restait du terrain à gagner. Pas du tout. Ce sera, cet inanalysé, cela aura été ce sur quoi et autour de quoi se sera construit et mobilisé le mouvement analytique : tout aurait été construit et calculé pour que cet inanalysé soit hérité, protégé, transmis intact, convenablement légué, consolidé, enkysté, encrypté. C’est ce qui donne sa structure au mouvement et à son architecture. »

La psychanalyse se serait construite comme une résistance au fait que la résistance ne serait pas identifiable et qu’elle se déplacerait toujours. Et cette résistance (à « la pulsion de pouvoir ? ») a fait de la psychanalyse elle-même un bastion de pouvoir à partir de ce « reste d’inanalysé ». Et de cette façon, n’aurait-elle pas contribué également à créer la résistance contre elle-même, ainsi que l’état de délabrement dans lequel elle se trouverait aujourd’hui ?

Aussi mauvais que soient « le livre noir de la psychanalyse » ou la critique d’Onfray, ils ne seraient peut-être qu’un symptôme d’une résistance qui s’en prendrait à la psychanalyse en tant que ce reste d’inanalysé qui prétend au « meilleur soin » du sujet par la levée de ses résistances. Or ce reste (en lien avec la pulsion de pouvoir et le fait que la résistance ne serait pas identifiable, et que la cure ne peut être qu’une analyse sans fin), s’il avait été perçu, lui aurait permis de démonter sa propre pulsion de pouvoir (sa vocation à croire pouvoir lever la résistance et libérer le « sujet » sans tenir compte du reste qui rend la notion de résistance problématique), ce qu’elle n’aurait pas su faire, et lui aurait évité de la conduire à se constituer en groupe(s) d’intérêt et de pouvoir au fonctionnement classique.

Dans le séminaire « La bête et le souverain », Derrida propose de nouveau comme alternative à la notion de souveraineté la traduction de la psychanalyse dans le domaine du politique (en utilisant les notions de pulsion de pouvoir, transfert, traduction, partage – voir p 388 Tome 1). On pourrait penser que la psychanalyse elle-même contribuerait à empêcher ce passage au politique du fait qu’elle s’est réservée comme chasse gardée ou fond de commerce toute cette conceptualité qu’elle emploie toujours en terme pathologique et de soin, par une pratique de caste, alors qu’il s’agirait pour Derrida (et Deleuze Guattari) de diffuser autrement la psychanalyse à travers le politique. Et ce petit territoire de la psychanalyse se réduirait de plus en plus à peau de chagrin.

A la fin de l’échange entre Major et Derrida (p 548 La carte postale), ce dernier conclut sur la tranche qu’il « manquerait » à Freud (un mort peut faire une tranche dans une logique spectrale) et qu’il s’est employé à entamer. « Alors qui paie ? » « Qui paiera à qui la tranche de Freud ? » et Derrida ajoute qu’il fait une offre…

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La critique de la psychanalyse par Derrida comparée à celle de Deleuze-Guattari

Cette critique de Derrida pourrait se cumuler à celle de l’anti-oedipe, si ce n’est qu’elle propose de prendre en compte la pulsion de pouvoir pour que la psychanalyse déborde de son cadre, tandis que l’anti-oedipe réduirait la psychanalyse à « un dispositif de pouvoir ».

Nous avons donc :

-  Des psychanalystes qui résistent à la critique de Deleuze et Guattari qui leur font le procès d’opérer un rabattement sur Œdipe et à la critique de Derrida quant à leur pulsion de pouvoir inanalysée (Derrida est d’accord sur ce point avec Deleuze et Guattari)

-  De l’autre, la critique deleuzo –guattarienne qui  passerait à côté de la pulsion de pouvoir (pour la déplacer en la déniant) en laissant entendre que la psychanalyse oedipienne forme une sorte de  « dispositif de pouvoir » qui ferait le jeu du capitalisme qui déterritorialise tous les codes pour rabattre les sujets sur Œdipe.

- Enfin, une critique de Derrida de cette critique (vu  dans un article précédemment) au nom d’une pulsion de pouvoir contre laquelle on ne pourrait pas lutter par une stratégie d’opposition, pulsion de pouvoir qui serait déniée par Deleuze et Guattari du fait qu’ils la traitent comme « un dispositif de pouvoir », alors qu’il aurait fallu la prendre en compte autrement d’un point de vue libidinal.

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Le coup d’envoi freudien et l’urgence de porter la psychanalyse hors de son cadre pour repenser la question de la responsabilité

« [...] Vous avez raison de comparer ces deux « avis de décès » prématurés, ces deux prétendues morts, celle de Marx et celle de Freud. Elles témoignent de la même compulsion à enterrer vivants les trouble-fête encombrants et à s’engager dans un deuil impossible. Mais les survies de ces deux « morts » ne sont pas symétriques. L’une affecte la totalité du champ géopolitique de l’histoire mondiale, l’autre n’étend l’ombre de son semi-deuil qu’aux Etats dits de droit, aux démocraties européennes, judéo-chrétiennes, comme on dit trop vite – et non abrahamiques, dans ce cas, l’Islam étant resté dans l’ensemble […] inaccessible à la psychanalyse.
Vous me demandiez comment maintenir la vertu subversive de Freud. J’essaie de le faire, comme vous l’avez dit, aussi bien dans des textes consacrés à la psychanalyse que dans les autres. L’urgence aujourd’hui, n’est-ce pas de porter la psychanalyse dans des champs où elle n’a pas été jusqu’ici présente ? Ou active ?
Ce ne sont pas, une fois encore, les thèses freudiennes qui comptent le plus à mes yeux, mais plutôt la manière dont Freud nous a aidés à mettre en question un grand nombre de choses concernant la loi, le droit, la religion, l’autorité patriarcale, etc. Grâce à l’élan du coup d’envoi freudien, on peut par exemple relancer la question de la responsabilité : au lieu d’un sujet conscient de lui-même, répondant souverainement de lui-même devant la loi, on peut mettre en place l’idée d’un « sujet » divisé, différencié, qui ne soit pas réduit à une intentionnalité consciente et egologique. Et d’un « sujet » installant progressivement, laborieusement, toujours imparfaitement, les conditions stabilisées – c’est-à-dire non naturelles, essentiellement et à jamais instables – de son autonomie : sur le fond inépuisable et invincible d’une hétéronomie. Freud nous aide à mettre en question les tranquilles assurances de la responsabilité. Dans le séminaire intitulé « Questions de responsabilité » que je tiens depuis douze ans, je traite de questions comme le témoignage, le secret, l’hospitalité, le pardon et maintenant la peine de mort. J’essaie de voir ce que peuvent vouloir dire des termes comme « répondre devant », « répondre à », « répondre de », « répondre de soi », dès lors qu’on les regarde du point de vue de ce qu’on appelle encore l’ « inconscient » « . De quoi demain… Dialogue entre Derrida et Roudinesco, p 285, 286, 2001, Edition de poche Flammarion

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Petit retour sur les machines désirantes pour éclairer la question de la responsabilité

- Nous sommes tous des machines désirantes.
- Nous ne sommes pas des machines désirantes, nous sommes appendus à des machines différentes et pour certains névrosés appendus à des machines qui ne tirent pas du tout dans la même direction. Si nous étions des machines désirantes, il n’y aurait aucun problème, nous serions déjà des robots.
En tant qu’êtres humains nous avons à composer avec nos machines désirantes.

- Ou la question du sujet et des machines désirantes. Ci-dessous 3 extraits qui reprennent cette problématique :

1) le premier extrait éclaire la notion de sujet dans la conception des machines désirantes de D&G, et montre le renversement du sujet cartésien vers un sujet comme « reste ». Dans le cas du sujet « cartésien », la responsabilité est liée à un concept de liberté « souveraine ». Dans le cas d’un sujet comme « reste », on peut s’interroger sur ce qu’il / qui il engage en terme de responsabilité, et s’il ne dissipe pas cette dernière, « il n’y aurait aucun problème, nous serions déjà des robots ».

2) Le deuxième extrait tiré du même texte laisserait entendre que dans ce sujet « je sens » élaboré par D&G, il y aurait peut-être un « au-delà » de la matière. Serait-ce ce retour d’un quasi-transcendantal qui engagerait une responsabilité qui ne serait plus de l’ordre de celle d’un sujet cartésien ?

3) Le troisième extrait ci-dessous tiré de la pensée de Derrida s’attaque à la question autrement à travers le Qui et le Quoi (le sujet et la machine par exemple) où l’un et l’autre ne peuvent qu’être mis tension sans résolution d’un côté ou de l’autre, au risque de sombrer dans la bêtise. Et comment penser la responsabilité dans cette aporie ?

1) [...] Cependant, la description du processus de production des machines désirantes demeure incomplète si l’on ne décrit pas le lien qui existe entre la machine désirante et le corps plein sans organes. Ainsi, nous avons vu que considérer l’homme comme une machine était une façon de lui retirer toute subjectivité, l’homme n’est pas un sujet conscient s’il n’est qu’une machine qui produit. Or, le corps plein sans organes en relation avec la machines désirante donne naissance au sujet que nous cherchions, c’est du moins notre hypothèse. Ainsi, il est ce qui est à côté des machines, il est un reste qui résulte de la production des machines. Parce qu’il est hors de l’organisme des machines désirantes, il « est l’improductif, le stérile, l’inengendré, l’inconsommable »20. Le corps plein sans organes n’est pas un organisme, il est « de l’anti-production »21. Le corps plein sans organes est « une surface pour l’enregistrement de tout le procès de production du désir, si bien que les machines désirantes semblent en émaner dans le mouvement objectif apparent qui les lui rapporte »22. On comprend ici que le sujet cartésien dépositaire d’une libre volonté, comme principe de ses actes, est ici détruit. Le sujet cartésien est illusoire parce qu’il résulte de l’idée selon laquelle si l’on continue à penser selon la terminologie de l’Anti-Œdipe, le corps plein sans organes serait la cause de l’activité des machines désirantes. En vérité, le corps plein sans organes est un résidu de l’activité de production. Le sujet est alors avant tout un sujet d’expérience. C’est ainsi que le sujet est ce quelque chose, à côté de la production, qui peut enregistrer l’activité des machines. [...] http://philosophique.revues.org/659

2) « [...] Néanmoins, si le sujet est sujet d’expérience, s’il est bien un « je sens », il existe un décalage par rapport à l’activité productive, un surplus, un résidu qui fonde la conscience d’un sentir. On pourrait alors se demander si l’existence même d’un sujet n’est pas déjà une forme de transcendance dans la mesure où il se démarque de la matière même. Ainsi même si le sujet se forme, dans la relation du corps plein sans organe, aux machines désirantes, il leur est attaché parce qu’il est leur produit mais il s’en détache parce qu’il est un centre d’enregistrement. Le sujet semble alors être un dépassement de la matière remettant peut-être en question le caractère absolument immanent du monde décrit par l’Anti-Œdipe. [...] http://philosophique.revues.org/659

3) Derrida : « Il y a, dans le texte ou l’écriture, avant toute autonomie possible du sujet, avant tout « je », tout individu, toute communauté et même avant l’humain, une instance qui engage, acquiesce, interroge, un « Qui » disloqué, divisé, qui énonce un « Oui ». Cette instance antérieure à toute subjectivité, et aussi à la distinction homme/animal, engage dans l’altérité. A partir de cette instance, on peut se poser la question « Qui est l’homme? » – au risque que cette question se transforme en « Quoi est l’homme? » ou « Qu’est-ce que l’homme? ». A-t-on vraiment l’assurance que ce Qui ne soit pas un Quoi ? Il est impossible de répondre.
Entre le Qui et le Quoi, ça diffère.
Pour qu’il puisse y avoir rapport (quel qu’il soit : tension, croisement, contamination) entre le Qui et le Quoi, il faudrait d’abord les définir, dire en quoi ils se distinguent et s’opposent. Mais c’est justement ce que Jacques Derrida évite de faire. Tout se passe comme si, entre ces deux mots, il y avait production d’écart, d’espacement (voire d’oeuvre, de poésie ou d’art) à condition que l’opposition ne se fige pas.
La philosophie devrait commencer en un lieu qui serait à la fois du côté du Qui et du Quoi. Le Qui et le Quoi ne s’y confondraient pas, ne pourraient pas s’y confondre, ils différeraient irréductiblement, sous un nom ou un autre : conscient/inconscient, Moi-je/Fond indéterminé, vivant/mort, quelqu’un/quelque chose, sujet/machine, mais en ce lieu subsisterait toujours une part d’indétermination qu’on pourrait interpréter comme une impuissance du langage, une bêtise. Le comble de la bêtise serait d’en rester soit à l’absolu du Qui (le Moi-je comme autoposition ou propre de l’homme), soit à l’absolu du Quoi (l’espoir de maîtriser l’étrangeté par une surenchère de souveraineté réactionnelle, d’automatismes, à la façon de Monsieur Teste). En ce lieu, ni le Quoi ne pourrait être dit plus bête que le Qui, ni l’inverse. L’un serait toujours plus ou moins bête que l’autre. Entre eux, (comme entre la bête et le souverain), ce serait une différance qui opérerait. » http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-1403051244.html

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Pourquoi tenter de suivre Derrida, ou le meilleur moyen d’affronter la démocratie libérale – le terrain des textes, au nom de la raison 

Pourquoi insister sur l’intégration de la psychanalyse et de la pensée contemporaine dans l’ordre juridico-politique de la démocratie ? Cela ne semble-t-il pas vain étant donné leur incapacité à pénétrer jusqu’à maintenant ces champs qui résistent par l’indifférence (y a-t-il beaucoup de liens par exemple entre philosophie contemporaine et philosophie du droit où des juristes de références tenteraient de déplacer les concepts juridiques actuels) ? Mais si la pensée contemporaine n’alimente que des courants politiques et certaines formes de militantisme, tant qu’elle n’arrive pas à percer le champ juridico-politique de la démocratie libérale, ses effets ne sont-ils pas voués à rester marginaux ?
Pourquoi tenter de suivre Derrida et en quoi sa stratégie semblerait aussi « opportune » ? (avec celle d’autres penseurs qu’il est également important de convoquer pour leur capacité à ouvrir d’autres espaces)
Les lignes de fuite et les créations politiques exceptionnelles (type psychothérapie institutionnelle) ne suffiraient pas à déboulonner les fondements de la démocratie libérale, et une lutte qui entraînerait un changement de coordonnées ne peut non plus se faire sur le terrain des armes et de la révolte (disproportion inouïe entre les forces armées actuelles et n’importe quel mouvement d’insurrection, bien qu’il puisse y avoir des victoires politiques type « Notre Dame des Landes », et bien qu’ils portent une force faible pour une démocratie à venir, etc), il ne pourrait se faire que sur celui des textes. En effet, quant à la confrontation sur les textes, la puissance serait du côté d’un autre jeu que celui de la démocratie libérale qui repose sur la notion de souveraineté en rapport à celle de « fondement », notions déconstruites rationnellement, s’il faut utiliser le critère par excellence qui fait loi, celui de la « raison » du « plus fort ». Une raison au service d’une confrontation avec tout l’édifice philosophique actuel et ses effets juridico-politiques. La raison serait en mesure de renverser cet édifice construit lui-même sur la raison, mais qui, poussé par une raison paroxystique, se déferait par un étrange mouvement, où la loi de la raison la plus forte (la seule force à même de se confronter dans la plus grande violence à des textes fondateurs en l’emportant), « raison triomphante », déclencherait un processus auto-immunitaire, transformant une pensée où la raison est dictatoriale et fondée sur des concepts purs (de liberté, d’autonomie) en pensée où une raison « plus forte » ouvrirait à un tout autre rapport à ces concepts qui seraient déconstruits et donc, à un tout autre rapport au politique.

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Droit et philosophie du droit, une spectaculaire carence dans le champ français

« D. Droit et philosophie du droit. Nous en étions convaincus au début de notre mission et nous en avons eu la confirmation la plus démonstrative, il y a là une spectaculaire carence dans le champ français. Beaucoup de philosophes et de juristes le regrettent et proposent qu’un effort tout particulier soit entrepris dans ce domaine. Cet effort pourrait s’engager d’abord dans les directions que nous venons d’indiquer en prenant en compte les problèmes de droit posés par certaines mutations modernes (techniques, économiques, politiques, artistiques). Les thèmes de la destination, du don, et donc de l’échange et de la dette, s’y prêtent de façon tout à fait privilégiée. Ne parlons pas seulement des démarches « comparatistes », ethno- sociologiques et historiques que cela impose, mais aussi de certaines approches moins classiques, par exemple à partir d’analyses « pragmatiques » de la structure des énoncés juridiques. Inversement, on étudiera aussi les conditions juridiques de la constitution d’oeuvres d’art ou du champ de la production et de la réception (ou destination) des œuvres. Sans parler de toutes les connexions possibles avec une problématique politique, voire théologico-politique. Pour nous limiter à quelques exemples indicatifs, voici, accumulées dans leur apparente diversité, quelques provocations « modernes » à cette nouvelle réflexion philosophico-juridique : les phénomènes de la société totalitaire, les nouvelles techniques de torture physique et psychique, les nouvelles conditions de l’investissement et de l’occupation de l’espace (urbanisme, espace naval et aérien, « recherches spatiales »), les progrès de l’informatisation, les propriétés et transferts de technologie, la propriété, la reproduction et la diffusion des œuvres d’art dans de nouvelles conditions techniques et compte tenu de nouveaux supports de production et d’archivation. Toutes ces transformations en cours appellent une profonde réélaboration de la conceptualité et de l’axiomatique du droit, du droit international, du droit public et du droit privé. Une nouvelle problématique des droits de l’homme s’annonce aussi, elle progresse lentement et laborieusement à l’intérieur de grandes instances internationales. Il semble que la philosophie française s’y soit jusqu’ici trop peu intéressée. Cette carence se dissimule souvent sous l’éloquence classique des déclarations en faveur des droits de l’homme. Si nécessaires qu’elles soient, de telles déclarations ne tiennent plus lieu de pensée philosophique. Une telle pensée doit se mesurer aujourd’hui à une situation sans précédent. » Coups d’envoi (Pour le Collège International de Philosophie, 1982), Derrida.

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L’Etat-Nation, les Lumières à venir, compter avec la logique de l’inconscient, ou la raison contre les rationalisations

« […] Tout Etat souverain est d’ailleurs virtuellement et a priori en état d’abuser de son pouvoir et de transgresser, comme un Etat voyou, le droit international. Il y a de l’Etat voyou dans tout Etat. L’usage du pouvoir d’Etat est ici originairement excessif et abusif. Comme l’est d’ailleurs le recours à la terreur et à la peur qui a toujours été, c’est vieux comme le monde et Hobbes l’a fort bien théorisé, le ressort ultime du pouvoir souverain de l’Etat – sous une forme implicite ou explicite, grossière ou subtile, fût-elle contractuelle et protectrice. Alléguer le contraire, c’est toujours une dénégation, une rationalisation, parfois une ratiocination qui ne doit pas nous tromper.
Cela nous rappelle qu’il faut, au nom de la raison, se méfier parfois des rationalisations. Soit dit en passant, trop vite, les Lumières à venir devraient donc nous enjoindre de compter aussi avec la logique de l’inconscient, et donc avec l’idée au moins, je ne dis pas la doctrine, engagée par la révolution psychanalytique. Qui d’ailleurs n’aurait eu aucune chance de surgir sans l’histoire, entre autres conditions, sans cette médecine empoisonnée, sans le pharmakon de cette inflexible et cruelle autoimmunité qu’elle appelle parfois « pulsion de mort » et qui ne limite pas le vivant à sa forme consciente et représentative.
Sans doute est-il donc nécessaire, au nom de la raison, de remettre en cause et de limiter une logique de la souveraineté état-nationale. Sans doute est-il nécessaire d’entamer, avec son principe d’indivisibilité, son droit à l’exception, son droit de suspendre le droit, l’indéniable onto-théologie qui la fonde, même en régime dit démocratique, et même si cela est dénié, de façon à mes yeux contestable, par exemple par des experts de Bodin, de Hobbes ou de Rousseau. […] » J. Derrida, Le « Monde » des Lumières à venir (Arriver – aux fins de l’Etat) dans Voyous, Galilée, 2003, p 215

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Proposition politique potentielle a priori aussi dérisoire qu’utopique

L’opportunité de porter la déconstruction dans le milieu de la psychanalyse en profonde crise à partir de son reste d’inanalysé, la pulsion de pouvoir, et la faire déborder de la pratique en cabinet pour qu’elle s’étende au champ politique (sans se contenter des seuls effets qu’elle produit sur les « patients » au cas par cas), reconsidérer les concepts de la psychanalyse pour ne pas les restreindre à une vocation à soigner la maladie, où elle n’aurait pour objet que ce qu’on nomme le « pathologique » (avec tout le problème de la cure interminable et de la résistance, vu précédemment), transformer les psychanalystes en expert en droit (constitutionnel, privé, public) pour envisager la traduction de ce champ dans l’ordre juridico-politique et repenser la notion de souveraineté.

On dira, mais pourquoi donc la psychanalyse et les psychanalystes ?

Ils resteraient peut-être, malgré la pulsion de pouvoir dont ils seraient dupes (et une fois cette « résistance » mise au jour), les plus à même de porter et de traduire une pensée qui déplacerait le jeu politique en déconstruisant les concepts liés de liberté et de souveraineté qui fondent les Etat-Nation dans lesquels nos subjectivités seraient produites…
Pour ce faire, prévoir de nouveaux Etats généraux de la psychanalyse ?

- Reste à définir la pulsion de pouvoir. Ce concept est-il clair ?
- Pulsion de pouvoir vue précédemment : « Il n’y a que du plaisir qui se limite lui-même, de la douleur qui se limite elle-même, avec toutes les différences de forces, d’intensité, de qualité qu’un ensemble, un corpus, un « corps » peut supporter ou « se » donner, se laisser donner. Un « ensemble » étant donné, que nous ne limitons pas ici au « sujet », à l’individu, encore moins au « moi », au conscient ou à l’inconscient, non davantage à l’ensemble comme totalité de parties, une forte stricture peut donner lieu à « plus » de plaisir et de douleur que, dans un autre « ensemble » […]. La force de stricture, la capacité de se lier, reste en rapport avec ce qu’il y a à lier (ce qui donne et se donne à lier), la puissance liant le liant au liable. […] Si ce mot (l’ensemble) doit renvoyer à une « unité » qui n’est rigoureusement ni celle du sujet, ni celle de la conscience, de l’inconscient, de la personne, de l’âme et/ou du corps, du socius ou d’un « système » en général, il faut bien que l’ensemble en tant que tel se lie à lui-même pour se constituer comme tel. Tout être-ensemble, même si sa modalité ne se limite à aucune de celles que nous venons de mettre en série, commence par se-lier, par un se-lier dans un rapport différantiel à soi. Il s’envoie et se poste ainsi. Il se destine. […].Il y aurait, liée à la stricture et par elle, une valeur de maîtrise qui ne serait ni de la vie ni de la mort. […]
[…] On peut alors envisager un privilège quasi transcendantal de cette pulsion de maîtrise, pulsion de puissance ou pulsion d’emprise. […] La pulsion d’emprise doit être aussi le rapport à soi de la pulsion : pas de pulsion qui ne soit poussée à se lier à soi et à s’assurer la maîtrise de soi comme pulsion. […] C’est la pulsion comme pulsion, la pulsion de pulsion, la pulsionnalité de la pulsion. » P 428, 429, 430 Spéculer sur Freud dans La carte postale, J. Derrida

>>> Le rapport de la psychanalyse à son héritage freudien, se liant à elle-même par le nom de Freud, et se liant à tout un ensemble conceptuel, ajouté à sa notion de « résistance », ce reste d’inanalysé avec ce qu’il implique et qui lui a servi à asseoir sa théorie et sa pratique, la rendraient dupes d’une pulsion de pouvoir, où liée à elle-même, elle serait dans l’incapacité de se transformer, sauf à faire un travail déconstructif profond. Or, les attaques qu’elle subit, au lieu de la pousser à un repli défensif, pourraient-elles l’entraîner à faire cette transformation de fond en comble ?

>>> Mais encore une fois… pourquoi aurait-on besoin des psychanalystes ?

Prochain épisode :  De la notion de souveraineté à celle de pulsion de pouvoir 

Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014

Mercredi 13 août 2014

Le travail de recherche sur le lien entre politique et psychanalyse, de Deleuze à Derrida, continue à travers le groupe facebook.

De temps à autre, des fragments seront prélevés et importés sur le blog afin de rendre lisible les avancées et de mieux suivre le cheminement de la recherche.

Episode précédent : Confrontation Deleuze / Derrida – Fragments – Groupe Facebook 16/07 au 01/08/2014 / Nous sommes revenus sur l’étrange opposition entre Foucault et Deleuze, entre « désir » et « plaisir », à une période où Foucault semblait s’interroger sur « le désir de révolution » et la notion de « répression », pour nous demander si la pulsion de pouvoir interprétée par Derrida ne déborderait pas leurs deux positions respectives. Par cette analyse, ce dernier proposerait-il une autre voie ?

Cette fois, nous allons nous intéresser à cette voie alternative que proposerait Derrida de façon récurrente dans ses textes, et qui ne semblerait pas encore avoir été prise en considération.

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La psychanalyse ne serait plus à la mode

-  « Une inquiétude devant ce que j’appellerais de façon vague et flottante (mais la chose est essentiellement vague, elle vit d’être flottante et sans contour arrêté), l’air du temps philosophique, celui que nous respirons ou celui qui peut donner lieu à des bulletins de la météorologie philosophique. Or que nous disent les bulletins de cette doxa philosophique ? Que, auprès de nombreux philosophes et d’une certaine « opinion publique », autre instance vague et flottante, la psychanalyse n’est plus à la mode, après l’avoir été démesurément, à la mode, après avoir, dans les années 60/70, repoussé la philosophie loin du centre, obligeant le discours philosophique à compter avec une logique de l’inconscient, au risque de se laisser déloger de ses certitudes les plus fondamentales, au risque de souffrir l’expropriation de son sol, de ses axiomes, de ses normes et de son langage, bref de ce que les philosophes considéraient comme la raison philosophique, la décision philosophique même, au risque de souffrir, donc, l’expropriation de ce qui, associant cette raison, bien souvent, à la conscience du sujet ou du moi, à la représentation, à la liberté, à l’autonomie, semblait aussi garantir l’exercice d’une authentique responsabilité philosophique. Ce qui s’est passé, dans l’air du temps philosophique, si je me risque à le caractériser de façon massive et macroscopique, c’est qu’après un moment d’angoisse intimidée, certains philosophes se sont ressaisis. Et aujourd’hui, dans l’air du temps, on commence à faire comme si de rien n’était, comme si rien ne s’était passé, comme si la prise en compte de l’événement de la psychanalyse, d’une logique de l’inconscient, de « concepts inconscients », même, n’était plus de rigueur, n’avait même plus sa place dans quelque chose comme une histoire de la raison : comme si on pouvait continuer tranquillement le bon vieux discours des Lumières, revenir à Kant, rappeler à la responsabilité éthique ou juridique ou politique du sujet en restaurant l’autorité de la conscience, du moi, du cogito réflexif, d’un « Je pense » sans peine et sans paradoxe ; comme si, dans ce moment de restauration philosophique qui est l’air du temps, car ce qui est à l’ordre du jour, à l’ordre moral de l’ordre du jour, c’est une espèce de restauration honteuse et bâclée, comme s’il s’agissait donc de mettre à plat les exigences dites de la raison dans un discours purement communicationnel, informationnel et sans pli ; comme s’il redevenait légitime, enfin, d’accuser d’obscurité ou d’irrationalisme quiconque complique un peu les choses à s’interroger sur la raison de la raison, sur l’histoire du principe de raison ou sur l’événement, peut-être traumatique, que constitue quelque chose comme la psychanalyse dans le rapport à soi de la raison. » Jacques Derrida, « Let us not forget — Psychoanalysis », The Oxford Literary Review, « Psychoanalysis and Literature », 1990

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Une voie non explorée proposée par Derrida dans de nombreux textes : La psychanalyse et la reconstruction de l’axiomatique du droit, de tout le discours construit sur l’instance du moi, de la responsabilité consciente, la rhétorique politicienne, la psychiatrie légale etc.

- « [...] Vous êtes l’un des très rares philosophes à s’intéresser à la psychanalyse et à lui donner une place dans votre oeuvre, non seulement comme simple référence mais dans un mouvement de va-et-vient continuel. Y a-t-il à votre intérêt des raisons philosophiques ?

- Sans parler des contenus, à quoi reconnaît-on qu’une écriture - celle des psychanalystes aussi bien que celle des philosophes – ne garde parfois aucune trace de la psychanalyse ? Maintenant, s’il y a quelque affinité entre quelque chose de la « subversion » psychanalytique et l’affirmation « déconstructive », disons, de la philosophie, cette dernière peut aussi viser une certaine « philosophie » de la psychanalyse.

- Que voulez-vous dire par « subversion » psychanalytique ?

- Le mot n’est pas bon, je m’en suis servi par commodité. La psychanalyse devrait obliger à repenser beaucoup d’assurances, par exemple à reconstruire toute l’axiomatique du droit, de la morale, des « droits de l’homme », tout le discours construit sur l’instance du moi, de la responsabilité consciente, la rhétorique politicienne, le concept de torture, la psychiatrie légale et tout son système, etc.
Non pour renoncer aux affirmations éthiques ou politiques, au contraire, pour leur avenir même. Cela ne se fait ni dans la société psychanalytique ni dans la société tout court, en tout cas pas assez, pas assez vite. Voilà peut-être une tâche pour la pensée. Nous vivons tous, à cet égard, dans une dissociation quotidienne, terrifiante et comique à la fois, notre lot historique le plus singulier…» Derrida, Points de suspension, p136

- Une voie en fait qui a commencé à être explorée par René Major dans la revue Confrontations : L’Etat freudien. Cahiers 11, 1984.

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Qu’est-ce qui résiste à la prise en compte de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique ?

- « Un « sujet », quel qu’il soit (individu, citoyen, Etat) ne s’institue que depuis cette « peur » (la peur que suscite l’idée de l’inconscient), et il a toujours la force et la forme protectrice d’un barrage. Le barrage interrompt, puis il accumule et canalise l’énergie. Car à travers tant de différences à ne jamais oublier, nos sociétés européennes sont toujours dominées par quelque chose comme un « système » éthique, juridique et politique, une Idée du Bien, de Droit et de la Cité (de la citoyenneté et de l’Etat). […]
Ce « système » et cette « Idée » sont avant tout des constructions produites pour résister à ce qui est ressenti comme une menace. Car la « logique de l’inconscient » reste incompatible avec ce qui définit l’identité de l’éthique, du politique et du juridique dans ses concepts, mais aussi dans ses institutions, et donc dans ses expériences humaines. Si l’on prenait en compte sérieusement, effectivement, pratiquement la psychanalyse, ce serait un tremblement de terre à peu près inimaginable. Indescriptible. Même pour les psychanalystes.
Parfois, cette menace sismique passe à l’intérieur de nous-mêmes, à l’intérieur de chaque individu. Dans notre vie, nous le savons bien, nous le savons trop, nous tenons des discours équivoques, hypocrites, dans le meilleur des cas ironiques, structurellement ironiques. Nous faisons comme si la psychanalyse n’avait jamais existé. Même ceux qui sont convaincus, comme nous le sommes, de la nécessité inéluctable de la révolution psychanalytique, et au moins de la question psychanalytique, eh bien, dans leur vie, dans leur langage courant, dans leur expérience sociale, ils agissent comme si de rien n’était, si je puis dire, comme au siècle dernier. Dans toute une zone de notre vie, nous faisons comme si, au fond, nous croyions à l’autorité souveraine du moi, de la conscience, etc., et nous tenons le langage de cette « autonomie ». Nous savons, certes, que nous parlons plusieurs langues à la fois. Mais cela ne change à peu près rien, rien à l’âme ni au corps, au corps de chacun et au corps de la société, au corps de la nation, au corps des appareils discursifs et juridico-politiques » De quoi demain… Derrida (entretien avec Roudinesco), p290, 2001

- On peut se demander qui pourrait supporter une pensée aussi radicale, en tout cas, on y serait attiré par « le courage de sa peur » comme dit Derrida quelque part dans la bête et le souverain, ce n’est pas la radicalité révolutionnaire et violente (souvent accompagnée de bonne conscience) comme on l’entend habituellement, celle-ci semblerait bien plus inquiétante…

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Pulsion de pouvoir, compulsion de répétition, et déni – des psychanalystes eux-mêmes – ou comment le dire encore autrement ?

- Intervention de Charles Melman, débat qui suit l’exposé de René Major, Ce qui résiste (encore) à l’analyse de la résistance (Etudes freudiennes n°37, octobre 1996)
« J’ai été très sensible, dans l’exposé de René Major, à ce qu’il nous a dit de la compulsion de répétition et de la manière dont celle-ci se présente comme la résistance propre à l’inconscient. Compulsion de répétition, autrement dit : notre souhait fondamental, foncier, de retrouver toujours le réel à la même place, ce qui implique aussi, d’une certaine manière, notre identité, notre personne, nos pensées, nos habitudes, notre style, voire nos symptômes. Accomplir le voyage, mais dans l’assurance que nous retrouverons le port. La question que je poserais à ce propos est de savoir dans quelle mesure ce réel, que nous avons ainsi le souci de retrouver à la même place, ne ressemble pas à nos travaux théoriques, car nous avons là encore cette sorte de tendance, à mes yeux fâcheuse, à veiller à retrouver nos textes, nos exemples, nos familiarités, nos complicités et nos échanges, et à faire, en conséquence, que le réel revienne soigneusement, là encore, à la même place. Or la question qui est si bien posée par Ces Journées, c’est, me semble-t-il, le problème de la résistance à la psychanalyse aujourd’hui […] On comprend bien qu’aujourd’hui la psychanalyse fasse de plus en plus résistance puisque, pour nos amis intellectuels, il est évident que l’existence de l’inconscient constitue un désaveu infligé à leur effort, à leur travail, à la validité de celui-ci, et donc que l’existence même de la psychanalyse vient mettre en péril leur emploi ; on sait non moins bien de quelle façon la psychanalyse met en cause tous les savoirs constitués, qu’ils soient universitaires ou non, puisque l’existence de l’inconscient vient les récuser. On sait enfin de quelle façon la psychanalyse met en cause tous les pouvoirs constitués, puisque l’existence de l’inconscient vient par là même montrer le caractère d’autant plus obligé, d’autant plus nécessaire, d’autant plus totalitaire de ces pouvoirs qu’il est plus factice. On voit donc clairement toutes les raisons sociales, évidentes, criantes, qui font qu’aujourd’hui la résistance à la psychanalyse puisse être vive. Mais le problème, à mes yeux en tout cas, est de savoir quelle est, parmi nous-mêmes, la résistance à la psychanalyse aujourd’hui […] »

- Etant donné le jeu de la compulsion de répétition et la résistance qu’elle constitue, une politique est-elle seulement possible à partir de l’abîme qu’ouvre la psychanalyse ?

- Mais inversement, un changement de coordonnées politiques peut-il avoir lieu sans la prise en compte de la psychanalyse ?

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- Foucault analyse les dispositifs de pouvoirs et propose des modes de subjectivations pour « résister », mais pour lui, la psychanalyse resterait tributaire et/ou complice des discours de certains de ces dispositifs (et c’est bien le cas de la psychanalyse oedipienne en cabinet).

- Deleuze & Guattari élaborent une stratégie des lignes de fuite et cherchent la machine de guerre qui saura se brancher sur toutes ces lignes de « désir » pour qu’une révolution transforme le paysage et ne reproduise pas un appareil d’Etat

(http://lesilencequiparle.unblog.fr/2014/07/30/cinq-propositions-sur-la-psychanalyse-lile-deserte-et-autres-textes-gilles-deleuze/).

- Derrida pense qu’il s’agit d’intégrer « la psychanalyse » dans l’ordre juridico-politique, et que rien ne pourra se faire sans qu’elle ne soit prise en compte. Il se confronte aux textes fondateurs qui donnent assise à nos démocraties libérales pour les déboulonner rationnellement, méthodiquement. Nous vivrions sur des fondements qui n’en sont plus, d’où, peut-être, cet étrange sentiment d’anachronisme partagé par quelques uns…

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Foi et savoir, un texte de Derrida (parmi de nombreux autres comme Voyous, La Bête et le souverain, De quoi demain…) qui évoquerait la psychanalyse comme « révolution » urgente et incontournable 

« 42. Dans nos « guerres de religion », la violence a deux âges. L’une, nous en parlions plus haut, paraît « contemporaine », elle s’accorde ou s’allie à l’hypersophistication de la télé-technologie militaire – de la culture « digitale » et cyberespacée. L’autre est une « nouvelle violence archaïque », si l’on peut dire. Elle riposte à la première et à tout ce qu’elle représente. Revanche. Recourant en fait aux mêmes ressources du pouvoir médiatique, elle revient (selon le retour, la ressource, le ressourcement et la loi de réactivité interne et auto-immune que nous tentons de formaliser ici) au plus près du corps propre et du vivant prémachinique. En tout cas de son désir et de son phantasme. On se venge contre la machine expropriante et décorporalisante en recourant – en revenant – à la main nue, au sexe ou à l’outil élémentaire, souvent à l’ « arme blanche ». Ce qu’on appelle les « tueries » et les « atrocités », mots qu’on n’utilise jamais dans les guerres « propres », là où justement l’on ne compte plus les morts (obus téléguidés sur des villes entières, missiles « intelligents », etc.), ce sont les tortures, les décapitations, les mutilations de toute sorte. Il y va toujours d’une vengeance déclarée, souvent déclarée comme revanche sexuelle : viols, sexes meurtris ou mains tranchées, exhibition de cadavres, expédition des têtes coupées, qu’on tenait naguère, en France, au bout d’une pique (processions phalliques des « religions naturelles »). C’est le cas par exemple, mais ce n’est qu’un exemple, dans l’Algérie d’aujourd’hui, au nom de l’islam, dont se réclament, chacun à sa manière, les deux belligérants. Ce sont là aussi les symptômes d’un recours réactif et négatif, la vengeance du corps propre contre une télé-technoscience expropriatrice et délocalisatrice, celle qui se trouve en fait identifiée à la mondialité du marché, à l’hégémonie militaro-capitalistique, à la mondialatinisation du modèle démocratique, sous sa double forme, séculaire et religieuse. D’où, autre figure de la double origine, l’alliance prévisible des pires effets de fanatisme, de dogmatisme ou d’obscurantisme irrationaliste avec l’acuité hypercritique et l’analyse vigilante des hégémonies et des modèles de l’adversaire (mondialatinisation, religion qui ne dit pas son nom, ethnocentrisme à visage, comme toujours, « universaliste », marché de la science et de la technique, rhétorique démocratique, stratégie « humanitaire » ou du « maintien de la paix » par une peacekeepink force, là où l’on comptera jamais de la même façon les morts du Rwanda et ceux des Etats-Unis d’Amérique ou d’Europe). Cette radicalisation archaïque et apparemment plus sauvage de la violence « religieuse » prétend, au nom de la « religion », réenraciner la communauté vivante, lui faire retrouver son lieu, son corps et son idiome intacts (indemnes, saufs, purs, propres). Elle sème la mort et déchaîne l’autodestruction dans un geste désespéré (auto-immun) qui s’en prend au sang de son propre corps : comme pour déraciner le déracinement et se réapproprier la sacralité intacte et sauve de la vie. Double racine, double déracinement, double éradication.

43. Double viol. Une « nouvelle cruauté » allierait donc, dans des guerres qui sont aussi des guerres de religion, la calculabilité technoscientifique la plus avancée à la sauvagerie réactive qui voudrait s’en prendre immédiatement au corps propre, à la chose sexuelle – qu’on peut violer, mutiler ou simplement dénier, désexuer – autre forme de la même violence. Est-il possible de parler aujourd’hui de ce double viol, d’en parler d’une façon qui ne soit pas trop sotte, inculte ou niaise, en « ignorant » la « psychanalyse » ? Ignorer la psychanalyse, cela peut se faire de mille façons, parfois à travers un grand savoir psychanalytique mais dans une culture dissociée. On ignore la psychanalyse tant qu’on ne l’intègre pas aux discours aujourd’hui les plus puissants sur le droit, la morale, la politique, mais aussi la science, la philosophie, la théologie, etc. Il y a mille manières d’éviter cette intégration conséquente, y compris dans le milieu institutionnel de la psychanalyse. Or la « psychanalyse » (il nous faut aller de plus en plus vite) est en récession dans l’Occident : elle n’a jamais franchi, effectivement franchi, les frontières d’une partie de la « vieille Europe ». Ce « fait » appartient de plein droit à la configuration de phénomènes, signes, symptômes que nous interrogeons ici au titre de la « religion ». Comment prétendre à de nouvelles Lumières pour rendre compte de « ce retour du religieux » sans mettre en œuvre au moins quelque logique de l’inconscient ? Sans y travailler, au moins, et à la question du mal radical, de la réaction au mal radical qui se trouve au centre de la pensée freudienne ? Une telle question ne se laisse pas séparer de tant d’autres : la compulsion de répétition, la « pulsion de mort », la différence entre « vérité matérielle » et « vérité historique » qui s’imposa d’abord à Freud au sujet de la « religion », précisément, et s’élabora en premier lieu au plus près d’une interminable question juive. Il est vrai que le savoir psychanalytique peut lui aussi déraciner et réveiller la foi en s’ouvrant à un nouvel espace de la testimonialité, à une nouvelle instance de l’attestation, à une nouvelle expérience du symptôme et de la vérité. Ce nouvel espace devrait être aussi, quoique non seulement, juridique et politique. […] » (Derrida, Foi et Savoir, 1996)

- L’exemple du nouveau Califat ou Etat Islamique 

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Un an après l’anti-oedipe, Deleuze et Guattari passent de la schizo-analyse à la pensée d’une machine de guerre qui tiendrait compte de toutes les lignes de fuite 

- »(…) Voilà le problème de la révolution : comment une machine de guerre pourrait tenir compte de toutes les fuites qui se font dans le système actuel sans les écraser, les liquider, et sans reproduire un appareil d’État ? Alors quand Jervis dit que notre discours se fait de plus en plus politique, je crois qu’il a raison, parce que, autant nous insistions, dans la première partie de notre travail, sur de grandes dualités, autant nous cherchons à présent le nouveau mode d’unification dans lequel, par exemple, le discours schizophrénique, le discours drogué, le discours pervers, le discours homosexuel, tous les discours marginaux puissent subsister, que toutes ces fuites et ces discours se greffent sur une machine de guerre qui ne reproduise pas un appareil d’État ni de Parti. C’est pour cela même que nous n’avons plus tellement envie de parler de schizoanalyse, parce que cela reviendrait à protéger un type de fuite particulier, la fuite schizophrénique. Ce qui nous intéresse, c’est une sorte de maillon qui nous ramène au problème politique direct, et le problème politique direct est à peu près celui-ci pour nous : jusqu’ici, les partis révolutionnaires se sont constitués comme des synthèses d’intérêts au lieu de fonctionner comme des analyseurs de désirs des masses et des individus. Ou bien, ce qui revient au même : les partis révolutionnaires se sont constitués comme des embryons d’appareils d’État, au lieu de former des machines de guerre irréductibles à de tels appareils. (…) » Deleuze, Cinq propositions sur la psychanalyse / 1973 -http://lesilencequiparle.unblog.fr/2014/07/30/cinq-propositions-sur-la-psychanalyse-lile-deserte-et-autres-textes-gilles-deleuze/

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La psychanalyse (en dehors de la psychanalyse), nouvelle machine de guerre qui tiendrait compte de la pulsion de pouvoir ?

- Si on retourne la proposition de l’extrait précédent, des analyseurs de désirs des masses et des individus qui éviteraient de devenir des partis de pouvoir pourraient-ils surgir ? Certains phénomènes / dispositifs sur le web et les réseaux sociaux en donneraient peut-être un bon exemple aujourd’hui (avec leurs participations aux révolutions arabes même si, elles aussi, auraient mal tourné…) ? Mais peut-on donner consistance à un mouvement révolutionnaire sans dispositif de pouvoir, en restant connecté sur les « masses » et les « individus » et en évitant une reterritorialisation « institutionnelle » qui écrêterait les lignes de désir ?

- Quelles nouvelles énonciations collectives et quels types d’institutions offriraient cette fluidité entre désir et politique ? Sont-elles en train de donner lieu à un nouveau paysage ? Mais ne rencontrent-elles pas également une limite qui ne leur permettrait pas d’atteindre un seuil de consistance, de rivaliser avec les coordonnées en place ?

- Y aurait-il une séparation stricte entre synthèse d’intérêts et désirs des masses et individus ? Y aurait-il une différence essentielle dans la façon de poser le problème en terme de désir plutôt que d’intérêt ? Peut-être…

- Mais les désirs des individus ne risquent-ils pas de devenir contradictoires ? De même que leurs intérêts ? Comment regrouper les individus (par masse ou communauté ou xyz) en considérant que ces agrégats ne risquent pas eux aussi de se diviser et de lutter les uns contre les autres ?

- Surtout s’il s’agit de tenir compte de la pulsion de pouvoir.

- En reprenant cette pulsion analysée par Derrida, quelle machine de guerre serait alors en mesure de tenir compte de tous ces discours marginaux, de la décomposition des codes, de la question de la croyance, sans reproduire un appareil d’Etat et sans être dupe d’une pulsion de pouvoir qui opérerait en réalité immédiatement au niveau du désir (plutôt qu’elle ne serait l’effet d’une reterritorialisation fatale du désir en dispositif de pouvoir) ?

- hypothèse et exemple, combien de groupes dits « révolutionnaires » et « dupes » de la pulsion de pouvoir fonctionneraient avec des « petits chefs » qui les encadrent, même si ces derniers luttent au nom d’intérêts « communs », ce qui contribuerait peut-être à discréditer davantage la croyance à une alternative à gauche pour ceux qui ne sont pas dupes de cette pulsion – cad désormais « la plupart » ?

- hypothèse et exemple, combien de mouvements qui travaillent autour du commun, à travers un discours écologiste, prônent également un retour aux « valeurs » (de la terre par exemple) ou autres archaïsmes ?

- hypothèse et exemple, les « partisans » du « Care » (le « Prendre soin ») – injonction qui est également de l’ordre de emprise sur l’autre, de la pulsion de pouvoir – ça ne serait qu’une nouvelle forme de souveraineté renouvelée sous des aspects apparemment protecteurs (et bien entendu tyranniques).

- Quelle machine s’intéresse aux discours marginaux cités plus haut par Deleuze, et serait attentive à la multiplicité des désirs des individus perçus comme « singularités », et disposerait d’une pratique « auto-immune » qui lui éviterait de se rabattre en dispositif de pouvoir ? La psychanalyse telle qu’elle est pratiquée, et surtout telle qu’elle n’est pas pratiquée de façon majoritaire, et qui resterait donc pour le moment un dispositif de pouvoir ?

- Mais peut-être qu’ »elle » disposerait du « potentiel » pour contribuer à créer cette « machine de guerre » à partir d’un processus auto-immunitaire accéléré en raison/grâce aux attaques qu’elle subirait de plus en plus violentes (et à juste titre du fait de s’être constituée elle-même comme dispositif de pouvoir) et du risque de sa mise à l’écart ? Une machine de guerre qui porterait la « psychanalyse » en dehors de la « psychanalyse », qui serait en mesure de penser des institutions où la pulsion de pouvoir ne serait pas occultée (et non le jeu du pouvoir qui lui est pensé dans toutes nos vieilles institutions existantes à partir de l’héritage des Lumières, et il faudra dé-montrer où se situe la différence entre ce pouvoir pensé depuis l’héritage classique des Lumières et le fait de penser la pulsion de pouvoir à partir de la psychanalyse…) ? Machine qui contaminerait le champ juridico-politique et s’allierait aux nouvelles énonciations collectives ?

- Y a-t-il le moindre signe de cette deterritorialisation ? Alors, sous quelle forme ? A travers quel processus ?

Episode suivant : La nécessité d’un déplacement de la psychanalyse hors du champ de la psychanalyse – Fragments – Groupe Facebook 01/09 au 18/09/2014 /

Confrontation Deleuze / Derrida – Fragments – Groupe Facebook 16/07 au 01/08/2014

Vendredi 1 août 2014

Le travail de recherche sur la confrontation Deleuze / Derrida continue à travers le groupe facebook.

De temps à autre, des fragments seront prélevés et importés sur le blog afin de rendre lisible les avancées et de mieux suivre le cheminement de la recherche.

Les noms des intervenants du groupe sont remplacés par des tirets comme dans un dialogue à plusieurs voix sans qu’on distingue les interlocuteurs, c’est-à-dire sans qu’on sache s’il s’agit de différentes personnes qui s’expriment à tour de rôle dans un forum ou alors des voix multiples d’une seule et même personne en dialogue avec elle-même et son (ses) autre(s) (agencement collectif d’énonciation ?).

En revanche, le montage de l’ensemble sur le présent blog dépendra pour le moment d’E. Jabre qui choisira les morceaux en fonction de ce qu’il trouvera le plus intéressant (pulsion de pouvoir ? en son nom propre ? au nom d’un groupe ? en tant que point le plus déterritorialisé ? etc), qui prendra des libertés « fictionnelles » en effectuant des coupes / et des changements dans les textes (qu’on pourra en revanche retrouver sur le groupe facebook dans leur forme originale). Il fera également (et au fur et à mesure) des modification en fonction des retours possibles des participants.

Episode suivant : Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014 

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L’art d’une classe dominante et les codes d’enregistrement

- « la création du manque comme fonction de l’économie de marché, c’est tout l’art d’une classe dominante », AO, chapitre 1, j’aimerais aussi discuter sur cette thèse

- En ce moment, là je croise ça du côté de l « au-delà du principe de plaisir » de Freud et de la pulsion qui précède le principe de plaisir (sans le contredire) qui consiste à lier l’énergie déliée, avant qu’elle ne s « enregistre », (du processus primaire au secondaire ? etc), ce que l’anti-oedipe traduit j’ai l’impression en codes d’enregistrement dans sa vision constructiviste du désir : « synthèse disjonctive d’enregistrement inclusive donc. Par inclusif, il faut entendre une possibilité d’inscription illimitée : les zones d’enregistrement sur la surface du corps sans organes peuvent inclure d’autres zones d’enregistrement, et d’autres encore. Une même intensité d’enregistrement sera soit « homme » soit « chien » soit « table » soit « enfant » soit « dieu » etc. Un usage exclusif (comme nous le verrons dans un paralogisme propre à la psychanalyse que nous développerons, à propos des machines sociales, sur les usages illégitimes des synthèses), assignera à une inscription une place prédéterminée qui sera un choix exclusif entre plusieurs éléments ; en somme, cet usage exclusif enlève la potentialité infinie de l’inscription inclusive où tout, potentiellement, peut s’inscrire. Dans l’Œdipe par exemple, qui est l’exemple paradigmatique de cet usage exclusif des synthèses, la place assignée aux individus sera soit « homme » soit « femme », et c’est tout. Au lieu des n sexes « non humain » dont parlait Marx, l’exclusion consiste à passer à 2 sexes. S’il s’agit toujours, dans le cas de l’usage exclusif des synthèses disjonctives, de puissance d’enregistrement, toute la potentialité pure et infinie qu’elle permet l’inclusion est ici éliminée. » Tiré de http://antioedipe.unblog.fr/…/episode-11-les-syntheses…/ (le lien est un extrait du mémoire (devenu thèse) de S. Nadaud)

-  il y a un très bon lien avec des videos d »‘un colloque a poitiers ayant eu lieu en 2000 quelque chose notamment l’intervention de Zourabichvili est tres tres pertinente http://uptv.univ-poitiers.fr/program/l-anti-oedipe-deleuze-guattari/index.html

- j’avais écouté quelques bouts, et j’avais été intrigué par le débat entre Nadaud et Sibertin-Blanc sur les codes et les néo-codes où Stéphane Nadaud dit que les uns agissent comme les autres, ce que ne peut pas entendre Guillaume Sibertin-BLanc http://uptv.univ-poitiers.fr/…/questions…/index.html Ca résonne avec cette question du simulacre où Deleuze me semble s’empêtrer en parlant de la simulation de l’écriture (en lien au capitalisme), alors que le simulacre (contre le bon modèle) est un de ses concepts (mais qu’il abandonnera…) voir La pharmacie de Platon, un Anti-Œdipe avant l’Anti-Œdipe

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La capitalisme qui déterritorialise, entre codes et néo-codes

- Point de discussion possible : « le capitalisme comme processus schizophrénique qui deterritorialise tous les codes et comme axiomatique qui reterritorialise en même temps sur oedipe. Une « pratique révolutionnaire » peut-elle passer à côté de cette question de l’économie libidinale, sauf à croire que de simples nouveaux codes peuvent remplacer les anciens. Or la question se serait déplacée avec la psychanalyse, on ne peut plus croire aux fondements des codes quels qu’ils soient (d’où « comment croire au monde »). Comment prendre en considération ce discrédit pour modifier un paysage où les coordonnées resteraient anachroniques par rapport cette « connaissance » ? Faut-il alors peut-être repartir de l’invention de savoir-faire quant à la manière dont les codes fonctionnent, leur création, dissolution, comment du désir et des lignes de fuite s’y imbriquent ? Concept de groupe sujet / groupe assujetti ?

- d’ailleurs on peut se demander si oedipe comme pseudo « neo-code » pour D&G ne fonctionne pas exactement comme un code / Discussion citée précédemment entre S. Nadaud et G. Sibertin-Blanc

- Peut-on éviter la question de l’investissement des codes (oedipiens ou non) pour parler du désir en terme d’agencements (qui font pourtant appel à des codes ?) ? Est-ce que cette reformulation en terme d’agencement permettrait de déplacer cette problématique ? http://antioedipe.unblog.fr/…/episode-2-il-ny-a-pas-de…/ Episode 2, il n’y a pas de finalité du désir. Désirer, c’est construire un agencement

- « [...] L’inconscient machinique exclut toute forme universelle au profit des singularités puisque, définie comme flux et coupures de flux, la machine désirante n’implique aucun codage nécessaire, seulement des rapports possibles et particuliers, relatifs, entre tels flux et tels codes (contre le « naturalisme » de la conception freudienne des codes). [...] : Si l’analyse des machines désirantes implique celle des codages qui lui sont liés, elle vise surtout la détermination des flux que ces codages informent ou « objectivent » et les rapports entre les flux et les codes. Par là, la schizoanalyse se distingue de l’interprétation psychanalytique (ou autre) concentrée sur le code (« découvrir le secret de tel ou tel code ») et ignorant la nature « fluide » du réel au profit d’une représentation « solide » (objets).
L’examen schizoanalytique ne vise pas simplement la compréhension, il est une action : la détermination des codes en tant que tels et des flux sur lesquels ils portent permet la mise en évidence de la relativité de ces codes au profit d’autres possibles et la libération des flux (« défaire les codes pour atteindre à des flux »). En même temps, l’approche schizoanalytique amène à aborder le sujet autrement que comme réalité close et histoire privée : si l’inconscient machinique se comprend selon le rapport flux-coupure-code, la subjectivité qui est l’effet de ce rapport est immédiatement collective puisque l’opération de codage implique l’existence de codes nécessairement sociaux et politiques (cf. le chapitre III de L’anti-Œdipe) [...]« http://blogs.mediapart.fr/…/lanti-oedipe-et-alentours L’anti-Oedipe et alentours

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Agencements et pulsion de pouvoir : le mouvement d’ex-appropriation ?

- Y aurait-il un impensé chez Deleuze et Guattari dans leur concept d’agencement et leur notion de désir constructiviste ? Pour construire, ne manque-t-il pas aux machines désirantes un processus/ une fonction / un principe qui serait de l’ordre d’une pulsion de pouvoir, d’une ex-appropriation ? : « Il n’y a que du plaisir qui se limite lui-même, de la douleur qui se limite elle-même, avec toutes les différences de forces, d’intensité, de qualité qu’un ensemble, un corpus, un « corps » peut supporter ou « se » donner, se laisser donner. Un « ensemble » étant donné, que nous ne limitons pas ici au « sujet », à l’individu, encore moins au « moi », au conscient ou à l’inconscient, non davantage à l’ensemble comme totalité de parties, une forte stricture peut donner lieu à « plus » de plaisir et de douleur que, dans un autre « ensemble » […]. La force de stricture, la capacité de se lier, reste en rapport avec ce qu’il y a à lier (ce qui donne et se donne à lier), la puissance liant le liant au liable. […] Si ce mot (l’ensemble) doit renvoyer à une « unité » qui n’est rigoureusement ni celle du sujet, ni celle de la conscience, de l’inconscient, de la personne, de l’âme et/ou du corps, du socius ou d’un « système » en général, il faut bien que l’ensemble en tant que tel se lie à lui-même pour se constituer comme tel. Tout être-ensemble, même si sa modalité ne se limite à aucune de celles que nous venons de mettre en série, commence par se-lier, par un se-lier dans un rapport différantiel à soi. Il s’envoie et se poste ainsi. Il se destine. […].Il y aurait, liée à la stricture et par elle, une valeur de maîtrise qui ne serait ni de la vie ni de la mort. […]
[…] On peut alors envisager un privilège quasi transcendantal de cette pulsion de maîtrise, pulsion de puissance ou pulsion d’emprise. […] La pulsion d’emprise doit être aussi le rapport à soi de la pulsion : pas de pulsion qui ne soit poussée à se lier à soi et à s’assurer la maîtrise de soi comme pulsion. […] C’est la pulsion comme pulsion, la pulsion de pulsion, la pulsionnalité de la pulsion. » P 428, 429, 430 Spéculer sur Freud dans La carte postale, J. Derrida

- Ce qui répondrait au post précédent sur les risques de durcissement des codes et la difficulté de se contenter d’une reformulation du désir en terme d’agencements pour fluidifier le « socius » par des flux, des coupures et des codes évolutifs, et sachant que la question du pouvoir ne tient pas seulement au fait de se débarrasser des codes « transcendants », mais qu’elle nécessiterait peut-être une stratégie plus complexe.

- les machines désirantes ne sont pas des machines qui seraient désirantes, elles sont le nom que D et G donnent au désir : les machines désirantes sont le désir lui-même, le désir étant en lui-même machinique dans le sens que D&G donnent à ce terme : relations et production ; les machines n’ont donc pas à chercher en dehors d’elles mêmes un principe qui les conduirait à produire des relations et donc des effets nouveaux : les machines désirantes définissent la production de nouvelles relations et de nouveaux effets ; les machines désirantes sont le nom que D&G donnent à ce processus de mise en relation/production d’effets : elles sont un processus càd un mouvement ; j’ai regardé un peu les posts précédents et il me semble que ce qui manque à leur contenu c’est cette compréhension du mouvement chez Deleuze : il ne parle pas d’objets mais de mouvements : le CSO par exemple n’est pas un objet distinct du corps, il désigne la limite d’un mouvement par lequel l’organisme constitué est perturbé (pour aller vite) : ils le disent dans L’anti-Oedipe : le CSO est une limite, on ne l’atteint jamais, c’est la limite vers laquelle tend un mouvement de désorganisation de l’organisme, donc le CSO n’a de sens qu’à l’intérieur d’une relation par laquelle le corps est défait, le CSO n’étant qu’une limite vers laquelle tend le corps de par cette relation ; si l’on oublie cette dimension du mouvement et de la relation chez Deleuze et dans son travail avec Guattari on fait comme Badiou, on passe à côté et on se met à poser aux textes des questions auxquelles il ne peut pas répondre et pour lesquelles alors on va chercher des réponses qui n’ont pas grand sens ; sinon puisque tu cherches un peu les sources de tout ça tu as lu le Foucault Naissance de biopolitique? il parle à un moment du rapport flux/machine en référence à un auteur néolibéral américain?

- merci pour ces éclaircissements, mais je reste un peu embarrassé d’autant plus que ce qui me paraît problématique dans les machines désirantes chez D&G serait également de l’ordre d’un mouvement qui n’aurait pas été saisi (l’ex-appropriation), d’où quand tu parles de mouvement raté, je trouve ça d’autant plus intéressant et ironique. Voici un autre extrait de Derrida (désolé) qui définirait le désir ou les machines désirantes par ce mouvement d’auto-télie : « Par-delà toutes les oppositions, sans identification ou synthèse possible, il s’agit bien d’une économie de la mort, d’une loi du propre (oikos, oikonomia) qui gouverne le détour et cherche inlassablement l’événement propre, sa propre propriation (Ereignis) plutôt que la vie et la mort, la vie ou la mort. L’allongement ou l’abrègement du détour seraient au service de cette loi proprement économique ou écologique du soi-même comme propre, de l’auto-affection auto-mobile du fort : da [...] Les mesures d’allongement ou d’abrègement n’ont aucune signification « objective », elles n’appartiennent pas au temps objectif. Elles n’ont de valeur qu’au regard du soi-même qui s’apostrophe et s’appelle comme un autre dans l’auto-affection. Il faut avant tout s’auto-affecter de sa propre mort (et le soi-même n’existe pas avant tout, avant ce mouvement d’auto-affection), faire que la mort soit l’auto-affection de la vie ou la vie l’auto-affection de la mort. Toute la différence se loge dans le désir (le désir n’est que cela) de cette auto-télie. Elle s’auto-délègue et n’arrive qu’à se différer elle-même en (son) tout-autre, en un tout-autre qui devrait n’être plus le sien. Plus de nom propre, pas de nom propre qui ne s’appelle ou n’en appelle à cette loi de l’oikos. Dans la garde du propre, au-delà de l’opposition vie/mort, son privilège est aussi sa vulnérabilité, on peut même dire son impropriété essentielle, l’exappropriation (Enteignis) qui le constitue. Il sert d’autant mieux la « propriation » qu’il n’est propre à personne et n’appartient surtout pas à son « porteur ». Ni à son « facteur ».  p382 spéculer sur freud. Ca m’intéresse si tu as les références précises pour Foucault, je n’ai pas lu ce livre. Et pour Badiou, je n’y connais rien et j’espère ne pas tomber dans ses travers…

- pour foucault c’est dans la leçon du 14 mars 79 et le penseur c’est l’économiste t.w. schultz

- Merci, je vais aller voir. Sinon, je suis arrivé à cette piste de la pulsion de pouvoir par la voie de la bêtise (qui m’a conduit donc à « spéculer sur Freud » où Derrida en parle via « au delà du principe de plaisir », que j’essaye de relire dans le commentaire de Deleuze également) :http://antioedipe.unblog.fr/…/derrida-et-deleuze-faire…/ Derrida et Deleuze, faire la différence. Ou quand une déconstruction déconstruit l’autre (1/3)

- la leçon du 14 mars 1979 de Foucault est là http://www.booston.fr/…/michel-foucault-naissance-de-la… Michel Foucault – Naissance de la biopolitique – Leçon du 14 mars 1979 (deuxième moitié) -…

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Penser en terme d’agencement, est-ce éviter le risque de rabattement sur des codes ?

- Le concept d’agencement a-t-il permis de dépasser la notion de « code » tel que proposé dans le post précédent à l’appui des textes cites en commentaires ? Il semble surgir plusieurs difficultés. D’une part, Deleuze et Guattari s’ils ont construit ce concept, les agencements ne les auraient pas attendus pour être le mode de construction du désir, et produire néanmoins des codes. Savoir qu’un agencement est un « agencement » et qu’il n’y a pas de codes transcendants modifie-t-il ce rapport aux codes ? Peut-être… Deuxième point. Le régime des codes serait différent de celui des neo-codes oedipiens. Or, pour les codes, il n’est plus possible de revenir à ce régime puisqu’ils seraient deterritorialisés et sans assise, et pour les neo-codes, ils agiraient eux-mêmes comme des codes qu’il « faudrait dépasser » en pensant en termes d’agencements qui s’appuieraient eux-mêmes sur ces codes (ou neo-codes ?), même s’ils deviendraient « évolutifs », et non plus transcendants. Et quels seraient ces nouveaux codes, des codes produits par des usages, qui marqueraient les sujets, mais auxquels ils ne croiraient pas de la même façon qu’on a pu croire aux codes « antérieurs » ? Malgré le nouveau régime décrit précédemment, n’y aurait-il pas un risque perpétuel de rabattement sur des codes durcis qui se recombineraient autrement (confirmé par xyz ?) tant qu’il n’y aurait pas un autre type de déplacement ? Ne manquerait-il pas à cette stratégie de l’agencement un ou plusieurs autres éléments pour devenir effective, étant donne que jusqu’a présent et malgré le succès de l’anti-oedipe, elle ne semble pas avoir pris la relève des « codes » ?

- La philosophie deleuzienne est devenue elle-même une doxa. Prôner les machines désirantes, évoquer vaguement la ritournelle, et faire la morale de la ligne de fuite sont devenus des clichés, des codes… A mon sens, pour l’instant, ce n’est pas seulement l’Anti-Oedipe qui constitue un échec. C’est le deleuzisme en général.

- Peut-on exclure toute une pensee en disant que c est un echec ? Comprendre pourquoi ces questions nous convoqueraient encore, et ce qui serait toujours a la pointe d une reformulation de nos univers en decomposition et/ ou ce qui ne marche pas, n a pas ete pense, et ce que ca peut reveler et ouvrir comme strategie nouvelle… Et si on repart simplement de ce qu ils ont tente d elaborer, ca permet de se confronter comme eux aux problemes qui les hantaient, et 30 a 40 ans plus tard, de mettre en rapport avec d autres pensees, de voir ce qui a ete produit, comment ca a modifie le paysage et comment ca n a pas eu d effets dans d autres champs

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Les collectifs combattent-ils pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut ?

http://www.inter-seminaire.org/interventions/le-collectif-entre-psychanalyse-et-politique/ Le collectif entre psychanalyse et politique | inter-séminaire.org Le collectif entre psychanalyse et politique Bienvenue à cette table ronde, où nous aurons trois intervenants, Frédéric Rambeau et Sophie Gosselin et David gé Bartoli. Nous voudrons simplement commencer par introduire le thème. Pourquoi avons nous choisi de loger le collectif entre ces deux… INTER-SEMINAIRE.ORG

- Si l’on monte autrement les citations de ce texte, on pourrait mettre en vis-à-vis 1) » C’est aussi les collectifs qui ont soif de l’obéissance, qui « combattent pour leur servitude comme s’il s’agissait de leur salut. » Deleuze, G. et Guattari, F., L’Anti-Œdipe, p. 37. Et 2) « Il y a donc une implication mutuelle entre l’individu et le social : il ne peut y avoir des individus que par l’identification à une personne, ou une idée, un idéal, extérieure. Ce rapport implique une autre sorte de problématique, celui de l’implication de l’individu à sa propre soumission sociale. Comme le dit Etienne Balibar : « alors que le rapport à l’[idéal] « extérieur » constitue les sujets comme tels, ou comme autant de « moi » attachés à leur idéal, la « place » de l’[idéal] elle-même n’est pourtant rien d’autre que l’effet du désir commun des sujets, qui sont ainsi à l’origine de ce qui les assujettit. » Balibar, E., Citoyen Sujet, p. 392

- Ce qui amènerait à 3) La question de la pulsion de pouvoir qui répond à la question de D&G, où derrière la servitude, il y a l’idéal ou l’effet du désir commun des sujets, où une part d »‘eux-mêmes » (majoritaire ?) renvoie comme une boucle rétroactive à une « unité supérieure » qui les attache à cette part d’eux-mêmes (et aux-autres) dans un rapport qui ne serait pas uniquement d’assujettisement, mais également un désir « actif »qui renforcerait cette « unité partagée » et part d’eux-même, en intensifiant le lien entre eux par un effet retour perpétuel qui fonctionnerait à partir de ces coordonnées (re)liantes.

- et 4) voici la réponse de Deleuze lui-même : « le désir ne fait qu’un avec un agencement déterminé, un co-fonctionnement. Bien sûr un agencement de désir comportera des dispositifs de pouvoir (par exemple les pouvoirs féodaux), mais il faudra les situer parmi les différentes composantes de l’agencement. Suivant un premier axe, on peut distinguer dans les agencements de désir les états de choses et les énonciations (ce qui serait conforme à la distinction des deux types de formations ou de multiplicités selon Michel). Suivant un autre axe, on distinguerait les territorialités ou re-territoralisations, et les mouvements de déterritorialisation qui entraînent un agencement (par exemple tous les mouvements de déterritorialisation qui entraînent l’Église, la chevalerie, les paysans). Les dispositifs de pouvoir surgiraient partout où s’opèrent des re-territorialisations, même abstraites. Les dispositifs de pouvoir seraient donc une composante des agencements. Mais les agencements comporteraient aussi des pointes de déterritorialisation. Bref, ce ne serait pas les dispositifs de pouvoir qui agenceraient, ni qui seraient constituants, mais les agencements de désir qui essaimeraient des formations de pouvoir suivant une de leurs dimensions. Ce qui me permettrait de répondre à la question, nécessaire pour moi, pas nécessaire pour Michel : comment le pouvoir peut-il être désiré ? »http://1libertaire.free.fr/DeleuzeFoucault02.html Désir et plaisir par Gilles Deleuze Ce texte est une lettre de Deleuze à Michel Foucault, datant de 1977

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Deleuze / Foucault :  désir ou plaisir ? Lignes de fuite ou dispositifs de pouvoir ? Et au delà de l’opposition (et du principe de plaisir),  s’il fallait voir du côté de la pulsion de pouvoir chez Derrida ?

- « Les agencements de désir n’ont rien à voir avec de la répression. Mais évidemment, pour les dispositifs de pouvoir, je n’ai pas la fermeté de Michel, je tombe dans le vague, vu le statut ambigu qu’ils ont pour moi : dans S. et P. , Michel dit qu’ils normalisent et disciplinent ; je dirais qu’ils codent et reterritorialisent (je suppose que, là aussi, il y a là autre chose qu’une distinction de mots). Mais vu mon primat du désir sur le pouvoir, ou le caractère secondaire que prennent pour moi les dispositifs de pouvoir, leurs opérations gardent un effet répressif, puisqu’ils écrasent non pas le désir comme donnée naturelle, mais les pointes des agencements de désir. Je prends une des thèses les plus belles de V.S. : le dispositif de sexualité rabat la sexualité sur le sexe (sur la différence des sexes… etc. ; et la psychanalyse est en plein dans le coup de ce rabattement). J’y vois un effet de répression, précisément à la frontière du micro et du macro : la sexualité, comme agencement de désir historiquement variable et déterminable, avec ses pointes de déterritorialisation, de flux et de combinaisons, va être rabattu sur une instance molaire, « le sexe », et même si les procédés de ce rabattement ne sont pas répressifs, l’effet (non-idéologique) est répressif, pour autant que les agencements sont cassés, pas seulement dans leurs potentialités, mais dans leur micro-réalité. Alors ils ne peuvent plus exister que comme fantasmes, qui les changent et les détournent complètement, ou comme choses honteuses… etc. »
http://1libertaire.free.fr/DeleuzeFoucault02.html

- Ce texte (http://1libertaire.free.fr/DeleuzeFoucault02.html) intervient à une période où une forme d’opposition semble surgir entre Deleuze et Foucault (plaisir contre désir ?) où Foucault suivrait les nouveaux philosophes (position contre les pensées « marxistes othodoxes » qui sévissent à l’époque) et interrogerait le « désir » de révolution. Y aurait-il une critique des pensées qui croiraient à une révolution qui libère et au fait que le désir serait réprimé ? Alors que pour Foucault, il n’y aurait que des dispositifs de pouvoir contre lesquels on résisterait par des modes de subjectivation alternatifs. Tandis que Deleuze hait le pouvoir qui écrête les lignes de fuite du désir par de la reterritorialisation qui crée du code pétrifié (pléonasme ? un code ne serait-il pas par définition une répétition à l’ »identique » ?), etc, mais j’ai l’impression que les 2 ont rencontré une limite :
- du côté du désir où les codes ne seraient plus qu’ « évolutifs »,  comment expliquer la difficulté d’apparition de ce nouveau régime, que des archaïsmes resurgissent, de même qu’on peut s’interroger sur la possibilité qu’un agencement « pensé en terme d’agencement » (donc par l’effet performatif d’être pensé comme tel) n’évite pas « forcément » de créer des codes (ce que font déjà les agencements « tout court », explique Deleuze) avec de la possibilité de durcissement, et malgré la « volonté » de les rendre plus fluides (la volonté du mouvement crée-t-elle le mouvement ?) ? On peut également ajouter que les discours sur les flux, la fluidification qui « déracinent » les vieilles coordonnées sont aussi ceux du capitalisme, tel que l’énoncent d’ailleurs D&G dans l’Anti-Oedipe pour parler de son mouvement de déterritorialisation. S’agirait-il de faire une course en suivant des lignes de fuite toujours plus folles pour faire sauter son axiomatique reterritorialisante (en Oedipe ou en neo-codes etc) ?

- du côté des dispositifs de pouvoirs, on assiste à une pensée qui ne met plus tant en cause ces dispositifs de façon fondamentale,  mais en parle en terme de vérité du pouvoir (en fait de fiction, mais fiction nécessaire ?) car de toute façon il y aurait du pouvoir indépassable, il faudrait juste trouver des modes de subjectivations alternatifs (3ème période foucaldienne), et des formes de résistance où on opposera le « pouvoir de la vérité » à la vérité du pouvoir (le séminaire ‘le courage de la vérité » par exemple ?) ?

- c’est là où Derrida par la pulsion de pouvoir dépasserait cette opposition plaisir/ désir (c’est tout l’objet d’ »Au-delà du principe de plaisir » interprété par Derrida dans « Spéculer sur Freud » – mais aussi Deleuze ? – de sortir de cette opposition) pour sortir de discours qui comportent encore des oppositions dialectiques et pour proposer plutôt de nouveaux partages de souveraineté, voire penser en dehors de la souveraineté (dont Foucault se serait débarrassé un peu vite…) et d’introduire la question de l’inconscient dans l’ordre politico-juridique (qui prendrait en compte cette pulsion de pouvoir), ce qui n’est jamais pensé malgré la place de la psychanalyse dans la société contemporaine (autre sujet pour plus tard…). On baignerait encore dans la métaphysique de la présence quelle que soit la radicalité de toutes ces autres pensées, et quand bien même elles feraient appel à l’inconscient…

- « Mais vu mon primat du désir sur le pouvoir, ou le caractère secondaire que prennent pour moi les dispositifs de pouvoir, leurs opérations gardent un effet répressif, puisqu’ils écrasent non pas le désir comme donnée naturelle, mais les pointes des agencements de désir.  » dit Deleuze. Deleuze précise qu’il ne rentre pas dans la catégorie critiquée par Foucault de ceux qui penseraient qu’un désir comme donnée naturelle serait réprimé. Néanmoins, il prend parti contre la répression des dispositifs de pouvoirs qui écrêtent les pointes d’agencements du désir, c’est-à-dire un désir agencé, pris dans une configuration complexe qui n’aurait rien à voir avec une naturalité à laquelle pourrait encore croire des révolutionnaires un peu trop naïfs. Cependant, si l’on tente une traduction du concept deleuzien de désir dans la langue de Freud relu par Derrida (Spéculer sur Freud), la pulsion de pouvoir et le plaisir entremêlés constitueraient ce désir dans un mouvement d’aller-retour permanent, de retour à soi. Ce qui primerait, comme le dit Derrida, serait la pulsion de pouvoir, pouvoir, mais non pas au sens de Foucault pour lequel le pouvoir équivaudrait à un dispositif avec des « codes » (traduction impropre en termes foucaldiens, certes…) qu’il s’agirait d’incorporer (et auquel on résisterait) avec tous les jeux de jouissance associés (ce qui relèverait du principe de plaisir freudien ?). Cette pulsion de pouvoir générerait non seulement ces dispositifs (dans le sens où Deleuze dit que le désir se reterritorialise en codes), mais elle leur serait également préalable, agissant en tant que désir liant avec effet de maîtrise, avant même l’émergence de codes et sans qu’on ne puisse faire de séparation claire ou pure entre deux étapes. Cette même pulsion pourrait de la même façon défaire ces dispositifs. Donc il s’agirait d’un désir qui serait « primaire » par rapport à sa (RE)-territorialisation en code de pouvoir, comme le dirait Deleuze, mais dès le départ le mouvement de (RE)-tour accompagnerait cette « pulsion de pouvoir » qui cherche à (RE)-lier l’énergie déliée et qui « se » (RE)-lie. Aussi la répression dont parle Deleuze, lorsque le désir se reterritorialise en code n’est que le jeu de l’économie libidinale, on ne pourrait donner une positivité au seul désir contre des dispositifs de pouvoir qui écrêteraient les pointes des agencements de désir, il s’agit d’un seul et même processus sans qu’on ne puisse prendre partie pour l’intensité des poussées libidinales contre leur durcissement sous forme de codes, d’autant plus que le « désir » peut épouser également les dispositifs de pouvoir, c’est le jeu du supplément où il se met tant à leur service, qu’il peut les démonter, le désir ne serait pas uniquement dans les pointes des agencements et ne s’opposerait pas aux dispositifs de pouvoir qui l’auraient « capturé » et « neutralisé » par reterritorialisation, au risque sinon de retomber dans un piège dialectique au nom d’une « vie plus intense » (et qui nécessite peut-être une autre stratégie).

- Pour éclairer cette problématique, citons Derrida à propos de Freud et de « Au delà du principe de plaisir » (Spéculer sur Freud p 427) : « S’il assure la maîtrise, le principe du plaisir doit donc d’abord le faire sur le plaisir et aux dépens du plaisir. Il devient ainsi le prince du plaisir, le prince dont le plaisir est le sujet asujetti, enchaîné, lié, resserré, fatigué. Le jeu se joue nécessairement sur deux tableaux. Le plaisir y perd dans la mesure même : où il fait triompher son principe. Il perd à tous les coups, il gagne à tous les coups dans la mesure où il est là avant d’être là, dès qu’il se prépare à sa présence, où il est encore là quand il se réserve pour se produire, envahissant tout au-delà de lui-même.  Il perd à tous les coups, il gagne à tous les coups dans la mesure : son intensité déchaînée le détruirait aussitôt s’il ne se soumettait pas à la stricture modératrice, à la mesure même. Menace de mort : plus de principe de plaisir donc plus de différance modifiante en principe de réalité. Ce qu’on appelle réalité n’est rien en dehors de cette loi de la différance. Elle en est un effet. La stricture produit le plaisir en le liant. Elle joue entre deux infinis, pariant et spéculant sur la plus-value que lui vaudra la restriction. De cette spéculation, le principe de plaisir, le maître, n’en est pas le maître, le sujet ou l’auteur. Il est seulement le chargé de mission, l’émissaire, un facteur, on dirait presque un courtier. Plaisir, le grand spéculateur, calcule avec les effets de stricture aphrodisiaque. Liant ou se laissant lier, il donne lieu, il fait place à la maîtrise du PP, il le laisse régler la circulation à son poste, limitant les quantités de plaisir et ne les laissant croître que dans la seule mesure possible. Le quasi-nom propre, c’est l’X qui spécule sans identité, c’est l’X (cette excitation inconnue dont Freud disait qu’on n’en connaissait rien par définition et qu’il convenait de désigner algébriquement)qui calcule et met en place le propre piège de sa relève. Ca se limite pour s’accroître. Mais si ça se limite, ça ne s’accroît pas. Si ça se limite absolument, ça disparaît. Inversement, si l’on peut dire, si ça libère quelque chose qui soit aussi proche que possible du processus primaire (fiction théorique), si donc ça ne se limite pas, pas du tout, ça se limite absolument : décharge absolue, débandade, néant ou mort.  »

- A noter que le concept de désir de l’Anti-Œdipe s’inspire également du principe de plaisir. Mais dans la lecture par Deleuze de « Au-delà du principe de plaisir » dans Différence et répétition (p 101 et s. ; p 128 et s.) - avec ses descriptions des synthèses passives, actives, de l’habitus, de la contemplation, etc – si on peut lire que Deleuze décrit bien un processus de retour à soi, sorte de narcissisme de la multitude des « petits »mois » qui s’intègrent ensemble, il semble distinguer entre des synthèses passives et actives, entre le virtuel et le réel. Or, et bien qu’il s’opérerait des échanges continuels entre eux, par cette distinction, Deleuze reconduirait une sorte d’opposition qu’on retrouverait dans sa prise de position pour les flux du désir (du côté du virtuel ?) contre les dispositifs de pouvoir (les codes et le réel ?)… Or, s’agirait-il de prendre position de la sorte ?

- A comparer avec le passage de Spéculer sur Freud de Derrida (p 373), où Derrida s’il évoque deux répétitions, c’est pour dire qu’elles ne pourraient pas se distinguer, car une répétition répète l’autre, et ça serait toute la différance : « L’obscurité, celle que Freud ne donne pas à remarquer, tient au fait qu’avant la maîtrise instituée du PP (Principe de Plaisir) il y a déjà une tendance à la liaison, une poussée maîtrisante ou stricturante qui annonce le PP sans se confondre avec lui. Elle collabore avec lui sans en être. Une zone médiane, différante ou indifférente (et elle ne peut être différante qu’en étant indifférente à la différence oppositionnelle ou distinctive des deux bords), rapporte le processus primaire dans sa « pureté » (un « mythe » dit la Traumdeutung) au processus secondaire « pur », tout entier soumis au PP. Une zone (celle du désir pour Deleuze dans le cas présent)autrement dit une ceinture entre le pp (processus primaire) et le PR (Principe de Réalité), ni serrée ni desserrée absolument, toute en différance de stricture. [...] L’indécision apparente de cette ceinture ou de ce lacet détaché, voilà le concept de répétition qui agit tout ce texte. Tel concept, la conceptualité ou la forme conceptuelle de ce concept a l’allure de ce lacet à stricture différantielle. Plus ou moins serré, il passe comme un lacet des deux côtés de l’objet, ici de la répétition. Mais il n’y a jamais la répétition. Tantôt la répétition, classiquement, répète quelque chose qui la précède (du côté du pouvoir dans le cas présent)…  [...] Mais tantôt, selon une logique autre et non classique de la répétition, celle-ci est « originaire » et induit, par propagation illimitée de soi, une déconstruction générale [...] Tantôt, par conséquent la répétition collabore à la maîtrise du PP, tantôt, plus vieille que lui, et se laissant même répéter par lui, elle le hante, le mine, le menace, le persécute en cherchant un plaisir délié qui ressemble, comme une bulle à une autre, à un déplaisir dans son atrocité même. [...] Mais il n’y a pas de « tantôt… tantôt… ». Comme dans l’épilogue ou l’arrière-boutique de La pharmacie de Platon, « un répétition répète l’autre « , et c’est toute la différance. »

- De plus, on peut ajouter ce commentaire concernant cet extrait de Deleuze : « Mais, pour aller vite, les dispositifs de pouvoir ne se contentent plus d’être normalisants, ils tendent à être constituants (de la sexualité). Ils ne se contentent plus de former des savoirs, ils sont constitutifs de vérité (vérité du pouvoir). Ils ne se réfèrent plus à des « catégories » malgré tout négatives (folie, délinquance comme objet d’enfermement), mais à une catégorie dite positive (sexualité). [...] A cet égard, je crois donc à une nouvelle avancée de l’analyse dans VS. Le danger est : est-ce que Michel revient à un analogue de « sujet constituant », et pourquoi éprouve-t-il le besoin de ressusciter la vérité, même s’il en fait un nouveau concept ? » dit Deleuze. >>> Ce qui reboucle avec la question posée précédemment où l’on tentait de mettre en lien les « codes » transcendantaux ou contingents (évolutifs) et la question de la croyance, comment croire au monde ? Le retour de la notion de vérité (même sous une forme fictionnelle ou xyz) vient recroiser la question des codes, de la fable du pouvoir à laquelle il y aurait un rapport, sinon à la croyance, au moins à la vérité, au vrai… S’il y a une vérité du pouvoir, alors les codes qu’ils soient transcendants ou contingents (évolutifs ?) fonctionneraient de la même manière, se durciraient et créeraient du rabattement au sens où l’entend Deleuze.

Episode suivant : Pulsion de pouvoir, la question de la psychanalyse dans l’ordre juridico-politique – Fragments – Groupe Facebook 02/08 au 14/08/2014 / 

Derrida et Deleuze, faire la différence. Ou quand une déconstruction déconstruit l’autre (3/3)

Dimanche 13 juillet 2014

Préambule / 1 ère partie / 2 ème partie / 3 ème partie

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(…)

Nouvelle piste. Lorsque Derrida parle de l’individuation, Derrida (BS p 259) dit que Deleuze « a raison, malgré tout, de lier tout cela (l’essence de la bêtise) à l’individuation », tout en précisant (sans doute ce « malgré tout »), « je crois qu’elle n’en a pas d’essence », mais Derrida dit qu’il chercherait tout de même du côté de l’essence comme entêtement têtu à être, « à être ce que cela est, identiquement à soi, à vouloir obstinément l’essence de la seule chose qui existe sans concept, à savoir l’existence individuelle ». (BS p 259)

N’oublions pas que Deleuze est le philosophe des concepts, qui comme on l’a vu, a construit sa pensée sur l’individuation. Pour Derrida, cette individuation, c’est la problématique de l’existence individuelle qui existerait sans concept. Et derrière cette sorte de critique très bien dissimulée malgré tout (pour reprendre le malgré tout de Derrida), ce n’est pas qu’un geste qui écarte purement et simplement, de façon souveraine sans justification la pensée deleuzienne, ce geste s’accompagne d’un argument peut-être « capital » : si la bêtise résiste tant, c’est que :

« l’existence individuelle en tant qu’elle pose, se pose et se repose avec une obstination têtue, dans l’entêtement sans concept. »

Aussi, cette volonté de dépasser par le concept d’individuation la forme homme serait alors peut-être un forçage conceptuel, une thèse de philosophe qui ne prendrait peut-être pas en compte l’état général de la bêtise régnante, bref cette maladroite machination dont parlait Derrida à l’encontre de la stratégie deleuzo-guattarienne contre la psychanalyse, du fait que la «  bêtise est têtue. Elle n’a que l’entêtement en tête. » Peut-on s’en prendre à la tête, au cap voire au capital, à partir d’une autre thèse, d’un autre cap, cap contre cap  (le cap, autre thème derridien) ?

Les auteurs des machines désirantes seraient peut-être passés à côté d’une machine incontournable qui ferait que leur machination resterait limitée.

Si la bêtise relève d’une sorte de compulsion de répétition, ou peut-être de cette auto-position qui correspondrait à la structure universelle de l’auto-affection, mouvement circulaire de retour à soi tout en passant par l’autre qui serait pourtant dénié, peut-on lutter contre elle en la conjurant par une thèse qui simplement la dissoudrait ? Comment lutte-t-on contre elle ? Et dépasser la représentation du Moi et du Je ne relève-t-il pas de la violence métaphysique d’Artaud et du fantasme de présence pleine, comme l’a écrit ailleurs Derrida ? N’est-ce pas encore une opposition avec le système de l’opposition lui-même ? Que le corps soit touché par les signes sans la médiation de la représentation, est-ce possible ? N’est-ce pas encore une façon de séparer le corps et la tête au nom d’une pensée sans médiation ? Finalement, cette stratégie ne fige-t-elle pas, plutôt qu’elle n’expose, comme Derrida le montrera plus tard à partir de l’exemple de Valéry et de M. Teste, lorsqu’il associe la position souveraine de ce dernier et la bêtise à partir de sa déclaration : « la bêtise n’est pas mon fort » ?

N’y aurait-il pas à prendre en compte une autre logique, une logique qui aurait développé un savoir-faire à partir de la psychanalyse et de l’inconscient, peut-être, pour faire avec cet entêtement qui relèverait même d’une pulsion de pouvoir pour Derrida plutôt que d’une compulsion de répétition freudienne ?

La différence chez Derrida intègrerait la pulsion de pouvoir, pulsion qui consisterait peut-être à dénier l’autre en soi en réduisant le jeu des différences à un jeu d’oppositions.

« […] comment l’Un se divise et s’oppose, s’oppose à lui-même en se posant, refoule et viole la différence qu’il porte en lui, fait la guerre, se fait la guerre, se fait peur et se fait violence, se transforme en violence apeurée à se garder de l’autre, car il se garde de l’autre, toujours, Lui, l’Un, l’Un « différant de lui-même […][1] ».

Deleuze, quant à lui, avec son concept de différence, tente d’éviter cette réduction (pulsionnelle pour Derrida ?) en la faisant passer pour une illusion, un mauvais-tour de passe-passe, un mauvais coup de la dialectique qui serait surmontable par une nouvelle image de la pensée. Or, ne se pourrait-il pas que ce double jeu des oppositions et des différences soit irréductiblement superposé, et donc inévitable ?

Pourrait-on dire alors que la différence chez Derrida intègrerait l’opposition pour la déjouer à travers une stratégie déconstructive qui renvoie au jeu des différences, tandis que la différence chez Deleuze (et Guattari) dénierait l’opposition au nom du jeu des différences pour finir par retomber dans un jeu d’opposition (entre la bonne et la mauvaise répétition) ?

L’approche derridienne relève d’une politique de l’auto-immunité. Elle nécessiterait peut-être d’autres forces, où il n’existerait plus de refuge où l’on se contenterait de circonscrire un camp ennemi pour se placer simplement dans l’autre.

 

 3. La question du sans fond

Enfin, il y aurait un autre écart fondamental, ou plutôt de fondement entre les pensées deleuziennes et derridiennes, qui ne serait pas sans rapport avec ces derniers points.

Lorsque Derrida écrit à propos les logiques schellingiennes ou deleuziennes (et même si Deleuze complexifie le sans fond indifférencié par la virtualité des multiples différences) :

« l’homme prend forme sur ce fond en gardant avec lui un rapport (libre, c’est sa liberté) », relisez Schelling et Heidegger sur Schelling. (Schelling, Le traité de 1809 sur l’essence de la liberté humaine, par Heidegger). » (BS p 212)

Et dans BS p 359, en note de bas de page, à propos de Celan, du Je, de l’étranger et de l’abîme du sans-fond, Derrida va préciser.

(A noter que Derrida décrit un processus d’actualisation presque similaire à celui de Deleuze – à ceci près qu’il évoque une individuation radicale ! – pour parler de l’ultra-souveraineté qui va venir prendre la place de la souveraineté à partir de la poésie de Celan, (BS p 308) : une « parole actualisée » sous le signe d’une « individuation radicale ». Comment couper le souffle, donner son temps à l’autre, se laisser contaminer par l’unheimlich ? Mais revenons à la note de Derrida sur le sans fond).

« le sans-fond (rapport à Schelling, Ungrund, Urgrund). A ce sujet, Heidegger au début de l’Introduction à la métaphysique au sujet de la question : pourquoi y a-t-il de l’étant ? quel est le fondement de l’étant ? Heidegger se demande alors si ce fondement est un fondement originaire (Urgrund – théorie de l’origine attaquée par Deleuze et Derrida), ou bien si ce fondement originaire refuse toute fondation et devient Abgrund (thèse de Schelling, Deleuze), ou encore un fondement qui n’en est pas un, une apparence de fondement (serait-ce la thèse de Derrida, sur la fable du fondement ?). »

Du côté de Deleuze, volonté de dépasser la fable et la représentation à partir de la notion de simulacre (DR, AO) et en suivant le geste d’Artaud et qu’il abandonnera pour la notion de  multiplicité[2], et où la stratégie consistera ensuite à déborder et éluder la question de la représentation ?

Du côté de Derrida, nous avons une fable de la représentation où la stratégie du séminaire serait de révéler la structure de fable, structure néanmoins incontournable et qui renvoie à la question de la représentation, mais où, par l’effet performatif de la déconstruction qui révèlerait la fable, on pourrait peut-être multiplier les jeux des fabulations qui déplaceraient peut-être les seuils pour d’autres partages de souveraineté ?

Sur la question du seuil qui reprend cet éclaircissement des trois positions à propos du fondement. BS p 411 : « La question de la responsabilité est une question du seuil, et en particulier, sur l’origine de la responsabilité, sur le seuil à partir duquel on passe de la réaction à la réponse. La responsabilité comme liberté, implique quelque chose de cette souveraineté indivisible accordée au propre de l’homme et refusée à la bête. »

Le seuil n’existe pas, dit Derrida. Et n’y-a-t-il pas nécessité d’un seuil aussi pour se protéger ?

BS (p 443) : « Ce que les textes que nous avons lus appellent, c’est au moins une plus grande vigilance à l’endroit de notre irrépressible désir de seuil, d’un seuil qui soit un seuil, un seul et solide seuil. Peut-être qu’il n’y en a jamais du seuil, un tel seuil. C’est pourquoi nous restons et risquons d’y demeurer à jamais, sur le seuil.

L’abîme, ce n’est pas le fond, le fondement originaire (Urgrund), bien sûr, ni la profondeur sans fond (Ungrund) de quelque fond dérobé.

L’abîme, s’il y en a, c’est qu’il y ait plus d’un sol, plus d’un solide, et plus d’un seul seuil.

Plus d’un seul seul. C’est là que nous en sommes. »

 

Conclusion

Il y a encore peu de livres politiques qui travaillent à partir de la psychanalyse. Deleuze et Guattari ont écrit L’Anti-Œdipe et Mille Plateaux, réinventant la psychanalyse sous le nom de schizo-analyse en opérant un déplacement complet de ses problématiques, épinglant les micro-fascismes, déployant des concepts comme ceux de groupe sujet, de transversalité, de devenir-mineur ou de machine de guerre. Derrida avec la déconstruction et la notion d’auto-immunité ouvre encore d’autres perspectives.

Terminons pour le moment par un texte de Derrida sur Les fins de l’homme (1968). Ce texte intervient dans le contexte de « la mort de l’homme » soulevé par Foucault, et on peut évidemment y associer Deleuze dans Différence et répétition (1969) qui cherche à en finir avec la pensée de la recognition :

« Le pari stratégique. Un ébranlement radical ne peut venir que du dehors. Celui dont je parle ne relève donc pas plus qu’un autre de quelque décision spontanée de la pensée philosophique après quelque maturation intérieure de son histoire. Cet ébranlement se joue dans le rapport violent du tout de l’Occident à son autre, qu’il s’agisse d’un rapport « linguistique » (où se pose très vite la question des limites de tout ce qui reconduit à la question du sens de l’être), ou qu’il s’agisse de rapports ethnologiques, économiques, politiques, militaires, etc. Ce qui d’ailleurs ne veut pas dire que la violence militaire ou économique ne soit pas structurellement solidaire de la violence « linguistique ». Mais la « logique » de tout rapport au dehors est très complexe et surprenante. La force et l’efficace du système, précisément, transforment régulièrement les transgressions en « fausses sorties ». Compte tenu de ces effets de système, on n’a plus, du dedans où « nous sommes », que le choix entre deux stratégies:

1. tenter la sortie et la déconstruction sans changer de terrain, en répétant l’implicite des concepts fondateurs et de la problématique originelle, en utilisant contre l’édifice les instruments ou les pierres disponibles dans la maison, c’est-à-dire aussi bien dans la langue. Le risque est ici de confirmer, de consolider ou de relever sans cesse à une profondeur toujours plus sûre cela même qu’on prétend déconstruire. L’explicitation continue vers l’ouverture risque de s’enfoncer dans l’autisme de la clôture;

2. décider de changer de terrain, de manière discontinue et irruptive, en s’installant brutalement dehors et en affirmant la rupture et la différence absolues. Sans parler de toutes les autres formes de perspectives en trompe-l’oeil auxquelles peut se laisser prendre un tel déplacement, habitant plus naïvement, plus étroitement que jamais le dedans qu’on déclare déserter, la simple pratique de la langue réinstalle sans cesse le « nouveau » terrain sur le plus vieux sol. On pourrait montrer sur des exemples nombreux et précis les effets d’une telle réinstallation ou d’un tel aveuglement.

Il va de soi que ces effets ne suffisent pas à annuler la nécessité d’un « changement de terrain ». Il va de soi aussi qu’entre ces deux formes de déconstruction le choix ne peut être simple et unique. Une nouvelle écriture doit en tisser et entrelacer les deux motifs. Ce qui revient à dire qu’il faut parler plusieurs langues et produire plusieurs textes à la fois. Je voulais surtout marquer que le style de la première déconstruction est plutôt celui des questions heideggeriennes, l’autre est plutôt celui qui domine en France actuellement. Je parle à dessein en termes de style dominant: parce qu’il y a aussi des ruptures et des changements de terrain dans le texte de type heideggerien; parce que le « changement de terrain » est loin de bouleverser tout le paysage français auquel je me réfère ; parce que c’est d’un changement de « style », Nietzsche le disait, que nous avons peut-être besoin; et s’il y a du style, Nietzsche nous l’a rappelé, il doit être pluriel. »

Elias Jabre


[1] Jacques Derrida, Politiques de l’amitié, Galilée, Paris, 1994, p 110.

[2] Le collectif commence seul, c’est-à-dire à plusieurs, Elias Jabre, Chimères 81,Bêt(is)es, 2014.

Derrida et Deleuze, faire la différence. Ou quand une déconstruction déconstruit l’autre (2/3)

Vendredi 11 juillet 2014

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(suite)

Notons un autre angle d’attaque de Derrida sur cette question de la psychanalyse et des devenirs-animaux chez Deleuze et Guattari qui rejoint celui que nous allons traiter maintenant. Lorsque Deleuze écrit que la psychanalyse a souvent rencontré la question des devenirs-animaux de l’homme,  Derrida précise :

« pour Deleuze quand il dispute la psychanalyse à ce sujet, il s’agit toujours seulement de l’homme, de devenir-animal de l’homme, autrement dit du devenir anthropomorphiquement animal de l’homme, et non de l’animal et de la bête, si on peut dire, eux-mêmes ». (BS p 196)

Donc Deleuze resterait enferré dans une thèse qui appartiendrait au discours logocentrique qui sacrifice l’animal tout en défendant la cause de l’animal pour l’homme, mais en laissant l’animal de côté.

 2. La bêtise comme propre de l’homme, et la problématique de l’individuation

Ce qui rejoindrait la critique de Derrida, lorsqu’il cite Deleuze dans Différence et répétition, où Deleuze donne une définition de la bêtise en tant qu’elle serait le propre de l’homme puisqu’elle exclurait l’animal :

« La bêtise n’est pas l’animalité. L’animal est garanti par des formes spécifiques qui l’empêchent d’être bête » (BS p 211).

Derrida le cite encore pour préciser la problématique du fond :

« La bêtise n’est pas le fond ni l’individu, mais bien ce rapport où l’individuation fait monter le fond sans pouvoir lui donner forme. » (DR p 197)

« Or les animaux sont en quelque sorte prémunis contre ce fond, par leurs formes explicites. »  (BS p 211).

Or, on peut s’interroger quand Deleuze écrit dans Différence et répétition :

« Cet indéterminé, ce sans fond, c’est aussi bien l’animalité propre à la pensée, la génitalité de la pensée : non pas telle ou telle forme animale, mais la bêtise. » (DR p 351)

Donc, l’animalité propre à la pensée serait la bêtise. Alors qu’on vient de voir que la bêtise n’est pas l’animalité. L’animalité serait l’indéterminé du fond sans fond qui remonte à la surface, et l’animal en serait prémuni par ses formes explicites ? L’animalité propre à la pensée de la forme homme exclurait donc l’animalité dans sa forme animale, car cette dernière disposerait de formes explicites que l’homme n’a pas, ce dernier étant en rapport avec le sans fond ? On retrouverait les prémisses de la critique derridienne du devenir-animal anthropomorphique de l’homme.

Et, comme on l’a déjà cité, Derrida va croiser plus tard la question de la bêtise des psychanalystes et de la bêtise comme propre de l’homme qui exclurait l’animal à partir de l’argument que nous venons de voir : l’acte d’accusation de bêtise s’en prend à une conscience souveraine qui dénie le rôle de l’inconscient. Or, pour Derrida, la résistance et l’inconscient feraient que l’homme, comme l’animal, aurait lui aussi des formes d’individuation explicites (BS p 245) :

« J’ai dit pourquoi il m’était longtemps difficile de rire avec eux (concernant la psychanalyse). Car inversement pourquoi ne pas reconnaître que l’homme, en tant qu’il a aussi des formes d’individuation explicites, se prémunit aussi, en quelque sorte, contre le fond sans fond, et dans cette mesure du moins, ignorerait comme l’animal, la bêtise pure. »

Derrida interprète la position deleuzienne à partir de Schelling lorsqu’il parle du fond originaire (Urgrund) ou non-fond (Un-grund) comme absolu indifférencié qui précèderait les principes d’identité et d’opposition, Schelling également cité par Deleuze dans Différence et répétition comme le rappelle Derrida (BS p 214) :

« Dans la logique Schellingienne, aussi bien que deleuzienne, l’homme prend forme sur ce fond en gardant avec lui un rapport (libre, c’est la liberté) qui serait refusé aux animaux. » (BS P 212)

C’est cette liberté que met en question Derrida et qui lui fait dire que Deleuze reste un philosophe très classique lorsqu’il parle de la bêtise en référence à Schelling. Or, si on se reporte à Différence et répétition, tout l’enjeu de cet ouvrage de Deleuze est de dépasser la forme « homme » et la pensée de la recognition. Et il va passer par Nietzsche pour déborder cette logique schellingienne. Deleuze est très clair, il s’agit de basculer sur une pensée de l’individuation :

« Elle (La bêtise) est possible en vertu du lien de la pensée avec l’individuation. Ce lien est beaucoup plus profond que celui qui apparaît dans le Je pense ; [...] Car le Je ou le Moi ne sont peut-être que des indices d’espèce : l’humanité comme espèce et parties. Sans doute l’espèce est-elle passée à l’état implicite dans l’homme ; si bien que le Je comme forme peut servir de principe universel à la recognition et à la représentation, tandis que les formes explicites sont seulement reconnues par lui, et que la spécification n’est que la règle d’un des éléments de la représentation. [...] L’individuation au contraire n’a rien à voir avec la spécification, même prolongée. Non seulement elle diffère en nature de toute spécification, mais […] elle la rend possible et la précède. Elle consiste en champs de facteurs intensifs fluents qui n’empruntent pas davantage la forme du Je ni du Moi. L’individuation comme telle, opérant sous toutes les formes,  n’est pas séparable d’un fond pur qu’elle fait surgir et qu’elle traîne avec soi. »  (DR p 197)

On a vu que Derrida, dans sa critique de Deleuze et de Schelling, se réfère à ce fond comme fond indifférencié, comme Deleuze semble le faire lui-même, évoquant un fond morne, passif… Mais si l’on continue la lecture de Différence et répétition, Deleuze semble reprendre la question de la bêtise pour finalement s’en débarrasser et la déborder par celle de l’individuation (DR p 353) :

« Le cogito est-il une bêtise ? (ici le cogito serait le propre de l’homme, et on pourrait tourner la phrase autrement et dire, la bêtise est-elle le propre de l’homme ? Deleuze continue) C’est nécessairement un non-sens, dans la mesure où cette proposition prétend se dire, elle-même et son sens. Mais c’est aussi un contresens dans la mesure où la détermination Je pense prétend porter immédiatement sur l’existence indéterminée Je suis, sans assigner la forme sous laquelle l’indéterminé est déterminable. »

Et c’est quelques paragraphes plus loin qu’on va comprendre comment Deleuze déplacerait cette problématique du sans fond évoqué jusque-là par Schelling par exemple, qui appartiendrait en réalité à la pensée nihiliste de la représentation, à la forme homme :

« La représentation, surtout quand elle s’élève à l’infini, est parcourue d’un pressentiment du sans fond. Mais parce qu’elle s’est rendue infinie pour prendre sur soi la différence, elle représente le sans fond comme un abîme tout à fait indifférencié, un universel sans différence, un néant noir indifférent. C’est que la représentation a commencé par lier l’individuation à la forme du Je, et à la matière du Moi.  » (DR 353, 354)

On retrouve une analyse similaire par Derrida dans La bête et le souverain I p 204 : « la bêtise selon cette nomenclature cartésienne serait au croisement de la finitude de l’entendement  et de l’infini de la volonté ; la précipitation à juger, l’excès de volonté sur l’entendement étant le propre de l’homme et conduisant à la bêtise […] Cela, Deleuze ne le dit pas » !

Mais Deleuze dit qu’on a une représentation, d’une part qui s’élève à l’infini et pressent le sans fond – ne serait-ce pas l’infini de la volonté dont parle Derrida ? Derrida ajoute en effet « ce que Deleuze dit du rapport de la bêtise à une certaine profondeur abyssale du fond n’est peut-être pas sans rapport avec ce que je viens de suggérer » Donc Derrida laisse entendre que Deleuze le dit même s’il ne le dit pas. Et d’autre part, Deleuze parle d’une représentation qui limite l’individuation dans la forme du Je et la matière du Moi – ne serait-ce pas la finitude de l’entendement ? dont parle Derrida.

Tout ça pour dire que Deleuze aurait aussi bien cerné la problématique. Si l’on reprend la suite de la citation précédente de Deleuze sur le sans fond :

« […] On le voit encore chez Schelling, chez Schopenhauer, ou même dans le premier Dionysos, celui de la Naissance de la tragédie : leur sans fond ne supporte pas la différence. […] L’individuation comme différence individuante n’est pas moins un ante-Je, un ante-moi, que la singularité comme détermination différentielle n’est préindividuelle. […] quel pressentiment de différences fourmillant dans notre dos, combien ce noir est différencié et différenciant, bien que non identifié, non individué ou à peine, combien de différences et de singularités se distribuent comme autant d’agressions, combien de simulacres se lèvent dans cette nuit devenue blanche pour composer le monde du « on » et du « ils ».) Que le sans fond soit sans différence, alors qu’il en fourmille, c’est l’illusion limite, l’illusion extérieure de la représentation, qui résulte de toutes les illusions internes. Et qu’est-ce que les idées, avec leur multiplicité constitutive, sinon ces fourmis qui entrent et sortent par la fêlure du Je ? » (DR 353, 354)

Deleuze va construire son concept de différen t/c iation à partir de cette problématique de d’individuation et du sans fond.

« […] on dira que l’idée s’actualise par différenciation. Pour elle, s’actualiser, c’est se différencier. En elle-même et dans sa virtualité, elle est donc tout à fait indifférenciée. Pourtant, elle n’est nullement indéterminée : elle est, au contraire, complètement différentiée. » (DR p 358)

Différentiée avec un t, et indifférenciée avec un c, c’est la multiplicité des différences qui fourmillent dans notre dos, dans le sans fond qui, s’il est fond indifférencié, est également un fond différentié.

A partir de cette individuation débordant la forme homme, éviterions-nous alors l’opposition de l’homme de et de l’animal ?

Derrida serait-il passé à côté de la tentative de Deleuze de déborder la pensée de la recognition et de « déconstruire » à sa manière la forme homme ? Aurait-il finalement lu trop vite Différence et répétition ?

Pourtant, Derrida va faire comme s’il suivait Deleuze également dans un langage proche de ce dernier :

BS p 246 « Si on ne veut pas invoquer l’autorité et la discursivité freudiennes, il suffit d’admettre que le vivant est divisible et constitué d’une multiplicité d’instances, de forces et d’intensités différentes et parfois en tension, voire en contradiction. Je me sers à dessein, en parlant de différentiel d’intensités et de forces, d’un langage de style nietzschéen plus acceptable par Deleuze. Mais vous voyez bien que tout se joue autour de cette ego-logique du Je et du Moi. »

Derrida aurait-il bien compris que Deleuze ne repart pas d’un fond indifférencié ? Et pourtant il continuerait à le placer dans la même position que Schelling avec cette problématique du Je et du Moi alors que Deleuze s’en démarque, et parle du « on » ou du « ils », de la fêlure du « Je ».

Encore une fois, ce qui est étrange, c’est que Deleuze cherche à déborder la représentation et la forme homme, au nom d’un inconscient différentiel et qu’il semble compliqué de penser qu’il en resterait à une logique de la liberté et de la conscience. Quel est l’un des objectifs du séminaire La Bête et le souverain de Derrida, en parlant de la fable de la souveraineté ? Ne serait-il pas également de déplacer les coordonnées de la représentation, d’un soi-disant monde qui nous laisserait penser que le souverain a un fondement, ce même fondement qui donne son assise au Je, au Moi, pensée de la recognition fondée sur un savoir, que Deleuze cherche également à déborder ?

Comment se fait-il que Derrida se confronte à Deleuze, ne partagent-ils pas des positions communes en passant par des cheminements différents, comme Derrida le disait lui-même à la mort de Deleuze ?

(…)

Derrida et Deleuze, faire la différence. Ou quand une déconstruction déconstruit l’autre (1/3)

Mardi 8 juillet 2014

Préambule / 1 ère partie2 ème partie3 ème partie

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Notes de travail lues au cours de la journée d’étude du 14 juin 2014 du groupe Lire – travailler Derrida 

Introduction

Dans le séminaire La Bête et le souverain [1], Derrida repart sur les traces de Deleuze lorsque ce dernier fait usage du mot bêtise, notamment pour se moquer des psychanalystes. J’ai cherché à comprendre quelques-unes des raisons pour lesquelles (il y en aurait plusieurs), Derrida trouve une nécessité à « déconstruire » la pensée deleuzienne sur ce point, lui qui s’est déclaré si proche de Deleuze à la mort de ce dernier:

«  […] Depuis le début, tous ses livres (mais d’abord le Nietzsche, Différence et répétition, Logique du sens) ont été pour moi non seulement de fortes provocations à penser, bien sûr, mais chaque fois l’expérience troublante, si troublante, d’une proximité ou d’une affinité presque totale dans les « thèses », si on peut dire, à travers des distances trop évidentes dans ce que je nommerais, faute de mieux, le « geste », la « stratégie », la « manière »: d’écrire, de parler, de lire peut-être. Pour ce qui regarde, mais le mot ne convient pas, les « thèses », donc et notamment celle qui concerne une différence irréductible à l’opposition dialectique, une différence « plus profonde » qu’une contradiction (Différence et répétition), une différence dans l’affirmation joyeusement répétée (« oui, oui »), la prise en compte du simulacre, Deleuze reste sans doute, malgré tant de dissemblances, celui dont je me suis toujours jugé le plus proche parmi tous ceux de cette « génération ». Je n’ai jamais senti la moindre « objection » s’annoncer en moi, fût-ce virtuellement, contre aucun de ses discours, même s’il m’est arrivé de murmurer contre telle ou telle proposition de l’Anti-œdipe  ou peut-être contre l’idée que la philosophie consiste à « créer » des concepts. Je voudrais essayer un jour de m’expliquer au sujet d’un tel accord sur le « contenu » philosophique quand ce même accord n’exclut jamais tous ces écarts que je ne sais pas, aujourd’hui encore, nommer ou situer. (Deleuze avait accepté l’idée de publier un jour un long entretien improvisé entre nous à ce sujet et puis nous avons dû attendre, trop attendre.) […] »[2]

A défaut de cet entretien, j’ai essayé d’éclaircir certains de ces écarts[3], plutôt à partir de la perspective de Derrida, puisqu’il a survécu à Deleuze, et qu’il a fini par préciser quelques-unes de ses positions, notamment dans le séminaire en question que nous avons étudié cette année.

1. Les bêtises des psychanalystes

Ne pourrait-il pas s’avérer que certaines de nos oppositions entretiennent une posture soi-disant radicale qui pourrait aussi bien nourrir notre impuissance ?

La critique célèbre dans L’Anti-œdipe [4] de Deleuze et Guattari publiée en 1972 consiste à montrer comment les psychanalystes en reterritorialisant les sujets sur des codes œdipiens rateraient leur véritable désir, c’est-à-dire les devenirs-animaux de l’homme, vont-ils ajouter en 1980 dans Mille plateaux, à partir de l’exemple de l’homme aux loups cité par Derrida dans son séminaire où il offre l’hospitalité à Deleuze et Guattari en citant de longs passages de leurs textes (BS p 104, 105 ; 196, 197, 199, 201).

Mais Derrida précise : lorsque Deleuze (et Guattari ?) : « se rit de la psychanalyse quand elle parle des animaux, il s’en rit, comme il le fait souvent, parfois un peu vite, et non seulement il s’en rit mais il dit, ce qui est plus drôle, que les animaux eux-mêmes en rient. » (BS p 104)

Double posture de Derrida. D’une part, il partage leur critique et se réjouit avec Deleuze et Guattari du rire des animaux, Derrida ayant lui-même débordé les codes œdipiens dans Fors, préface au livre qu’Abraham et Torok avaient consacré à l’homme aux loups, et Derrida précise dans le séminaire (BS p 200) que sa critique remonte quant à elle à 1975 et est antérieure à Mille plateaux (et on a vu précédemment dans le séminaire avec Agamben que cette façon de se positionner comme le premier est un acte de souveraineté). Il prend parti pour Deleuze-Guattari tout en se posant comme celui qui viendrait avant eux sur cet exemple de l’homme aux loups, et dans le même mouvement, autre acte déconstructif et en même temps souverain, il en profite pour attaquer Lacan en citant Deleuze qui « vient de dire que Lacan a hérité pour l’accroître le capital des bêtises de Freud dans la violente domestication et paternalisation psychanalytique de l’homme aux loups ».

Mais Derrida, s’il rit avec eux contre certaines interprétations œdipiennes, il ne partage pas avec eux leur rire contre la psychanalyse. Il le répète (BS p 245) :

« Si drôle et parfois si salutaire que soit la vigilance ironique et sarcastique de Deleuze ou Deleuze et Guattari à l’endroit de la psychanalyse, j’ai dit pourquoi il m’est difficile de rire longtemps avec eux. »

Derrida cite Deleuze-Guattari (BS p 196) :

« Nous voulons dire une chose simple sur la psychanalyse : elle a souvent rencontré, et dès le début, la question des devenirs-animaux de l’homme. […] le moins qu’on puisse dire est que les psychanalystes n’ont pas compris, ou qu’ils n’ont voulu ne pas comprendre. »

Pour Derrida, la bêtise résiste comme l’inconscient :

« Deleuze insinue ainsi que tous ces psychanalystes ont dénié comprendre, ont fait comme s’ils ne comprenaient pas, ont voulu ne pas comprendre ce que, par conséquent, ils comprenaient fort bien et avaient intérêt à ne pas assumer, avouer, déclarer ce qu’ils comprenaient, ce qu’ils comprenaient qu’ils comprenaient et voulaient encore ne pas comprendre, faire comme s’ils ne comprenaient pas, ce qui est donc plus un symptôme qu’une simple non-connaissance ou un simple non-savoir : c’est une méconnaissance symptomatique sur fond de connaissance inconsciente. » (BS p196)

Derrida retrouve dans le geste deleuzo-guattarien de Mille plateaux une continuité avec L’Anti-Œdipe qui portait déjà l’idée d’un vol, d’une simulation, d’une tromperie en reprenant la plainte d’Artaud :

« […] un réquisitoire contre Freud qui est en somme accusé non pas de croire en ce qu’il disait et qui constitue une machine à laquelle il fait semblant de croire, mais d’avoir tout fait (et la condamnation est ici éthique et politique), d’avoir donc tout fait pour faire croire au patient ce que la psychanalyse lui disait et voulait lui faire souscrire. Le faire sous-signer  d’une autre nom,  d’un nom autre que le sien, de son nom devenu nom d’un autre, nom du père, […] là où le nom tout neuf qu’il s’était fait lui était en somme volé, […], dans un style et une logique de plainte et de contre-réquisitoire, qui n’est pas loin de ressembler à celle d’Artaud contre le vol de son propre, de son nom propre, et son corps propre – supposé sans organes). Ce qui signifie que lesdites « bêtises de la psychanalyse ne sont pas seulement des indigences de savoir, […] mais des violences éthiques, des machines, à leur tour, et des machines de guerre, d’assujettissement […] » (BS p199)

On peut noter que Deleuze problématise lui-même le vol dans Différence et répétition (DR p 258) :

« Aussi bien les Idées qui découlent des impératifs, loin d’être les propriétés ou attributs d’une substance pensante, ne font qu’entrer et sortir par cette fêlure du Je, qui fait toujours qu’un autre pense en moi, qui doit être lui-même pensé. Ce qui est premier dans la pensée, c’est le vol. »

C’est donc une position assumée par Deleuze. Mais le vol défendu par Deleuze est l’immixtion inconsciente de l’autre en moi qui prend la place, tandis que le vol des psychanalystes relèverait d’un forçage, voire un matraquage  qui dénierait la place de cet autre, de ce voleur, peut-être même une opération de police contre ce vol pour rétablir le nom officiel du propriétaire du patronyme. Or le vol étant également la chance de l’évènement et de la rencontre, le mode de l’évènement, pour Deleuze, il y aurait eu vol du vol, et cet autre vol serait l’objet d’une accusation.

Il n’en reste pas moins que Derrida insiste auprès des auteurs des machines désirantes sur l’aspect machinique de la résistance de la psychanalyse devenue une machine de guerre qui assujettit. Or, lutte-t-on contre une machine en lui opposant frontalement une machine alternative au risque de générer un durcissement ? Ne faut-il pas tenter d’inventer une autre machination ?

La bêtise résiste comme l’inconscient, et c’est les stratégies d’opposition que déconstruirait Derrida en allant chercher Deleuze sur le terrain de la bêtise, comme si Deleuze et Guattari attribuaient encore une souveraineté inentamée aux psychanalystes. Car, qui est bête ? Qui ou quoi ?

« Dès lors, pour ne pas oublier notre problème de la bête et du souverain, si le souverain c’est toujours l’instance d’un Moi Je, d’un sujet disant moi Je, voire nous, une première personne, et supposé décider librement, souverainement, supposé faire la loi, répondre, répondre de soi, dominer le reste de la vie psychique (consciente et inconsciente), alors qui est bête ? Ou quoi ? Moi ou ça ? A qui, à quoi revient la bêtise ? » (BS p 246)

Deleuze et Guattari laissent entendre que les psychanalystes étaient les mieux placés pour savoir ce qu’il en est de l’inconscient, et leurs interprétations sont d’autant plus bêtes de passer à côté du désir en l’enchaînant à Œdipe. Derrida répond qu’à partir du moment où l’on prend en compte l’inconscient, on ne peut plus travailler à partir d’une plainte ou d’un reproche qui s’adresserait à une conscience souveraine, et qu’il faut compliquer l’opération critique.

Pourquoi ne pas simplement prendre leur parti ? Si Derrida salue le geste déconstructif d’une pensée qui s’élève contre une pratique qui génère de la violence contre les sujets qu’elle n’écoute pas, il refuse sans doute de tracer une ligne de démarcation stricte avec un champ (comme la psychanalyse) qu’il estime perfectible, considérant qu’on ne défait pas une position sans une autre stratégie que la confrontation directe.

C’est tout l’objet de la déconstruction, d’une politique de l’auto-immunité où il s’agirait de déplacer des pièces pour entraîner un changement de coordonnées à l’intérieur même du champ, et en évitant ce qui pourrait générer de la résistance et aller à l’encontre d’une possibilité d’ouverture.

Pourtant, dans L’Anti-œdipe, Deleuze et Guattari précisent bien qu’ils ne s’opposent pas à la psychanalyse, mais que le changement qu’ils attendent nécessite une psychanalyse transformée en schizo-analyse qui partirait du processus schizophrénique, des lignes de fuite plutôt que de la névrose et des codes œdipiens :

« Nous croyons au contraire à la possibilité d’une réversion interne, qui fait de la machine analytique une pièce indispensable de l’appareil révolutionnaire » (AO p 97).

Serait-ce, étant donné la virulence de la charge contre la psychanalyse, et pour reprendre Derrida, une de leurs dénégations crispées tel qu’il l’aurait écrit : « l’Anti-Œdipe est un très mauvais livre (confus, plein de dénégations crispées, etc.) »[5]

Laissons en suspens cette question et poursuivons le cheminement de Derrida.


[1] J. Derrida, Séminaire La bête et le souverain V1, Galilée, 2008.

[2] « Il me faudra errer tout seul », J. Derrida, 1995, Libération.

[3] On peut également se reporter au numéro 81 de Chimères, Bêt(is)es, 2014, notamment avec l’entretien de Jean-Clet Martin, Deleuze et Derrida, ce n’est pas le même mouvement, ainsi que les articles de René Major, etc.

[4] Gilles Deleuze & Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Editions de Minuit, 1972.

[5] d’après un article de Libération où Benoit Peeters est cité, 2010 : Derrida parmi les siens

Bêtise, marasme de la gauche et déni de la pulsion de pouvoir (Préambule)

Dimanche 6 juillet 2014

Préambule 1 ère partie / 2 ème partie3 ème partie

J’avais été prévenu, j’allais être contaminé (c’est déjà je qui parle, ça promet).

A travailler sur la bêtise, combien d’illustres prédécesseurs en avaient fait l’expérience, l’avaient ressenti et même formulé, à commencer par Flaubert victime de son célèbre duo qu’il avait répandu dans le décor : « Bouvard et Pécuchet m’emplissent à tel point que je suis devenu eux ! Leur bêtise est mienne, et j’en crève ! », menace destinée aux imprudents qui oseraient retenter l’aventure.

Se jeter à corps perdu dans la bataille (cette drôle de manie de vouloir en découdre tout le temps), ouvrir les questions du fond et du sans-fond, heureusement accompagné par des guides chevronnés, les plus audacieux et les plus solides (Deleuze et Derrida donc), deux guides qui ont laissé des traces de leur pas et de nombreuses balises sur ce territoire au sol incertain, où se dissimulent tant d’abîmes et de sables mouvants, et qu’ils ont parcouru de long en large (et bien sûr en travers).

Et une fois de retour (étais-je vraiment parti ? en revient-on jamais ?), se sentir détenteur d’un savoir en plus, d’un petit bout de clarté attrapé en plein cœur des ténèbres (mon petit côté fin XIXème), avance ô combien dérisoire, et qu’on insiste à balader dans le décor comme une luciole fragile cachée entre nos mains, qu’on découvre à quelques compagnons pressentis, à s’assurer que leurs yeux reflètent cette même lueur minuscule, inestimable vérité, comme si cette métaphore lumineuse n’était pas aussi usée que la croyance en ce pas décisif vers une résolution.

Et une fois l’énigme résolue (voyez comme la bêtise insiste), c’est un souffle qui renouvelle le paysage. Regarde bien, ne sens-tu pas cette douce fraîcheur qui glisse sur tes joues ? Avoue ! Ose me dire que tu ne respires pas mieux ! (eh oui, jusque-là encore, et toujours la même violence démonstrative)

Ne fallait-il pas profondément être bête (mais qui est bête, dirait l’autre, ça ou moi ?), ne fallait-il pas profondément être bête et plus bête encore à vouloir transformer cette aventure en thèse ? D’autant que ce supposé savoir (en plus ? de trop ?) invalidait jusqu’à la forme tranchée de ce mode d’affirmation.

Préalable, frapper à la porte des institutions, des écoles doctorales en philosophie, où les budgets s’amenuisent d’année en année, et où les rares directeurs de thèse croulent sous la charge magistrale des travaux de tous ces échoués du temps qui misent leur vie sur cette perversion défraîchie.

Une fois que deux ou trois interlocuteurs dûment habilités vous proposent leur accompagnement dans le cadre de l’université, cette vieille dame sérieuse et digne qui détient le pouvoir de légitimer vos recherches,  plusieurs cas de figures se dessinent. (…)

Trouver le moyen de les (de se faire) éconduire, de signifier la mise au rancart d’une institution délabrée dont les murs risquent de vous tomber sur la tête.

Quelle inspiration perfide m’a donc traversé et transi (Heidegger, sors de ce corps !), que je me sente dévolu à ce délire messianique partagé par tous ces prophètes ratés (tous les apprentis thésards sans doute) qui se croyaient élus, et que l’histoire (enfin, ce qu’il en reste, bref des décombres) a fort heureusement balayé pour leur plus grand nombre sans laisser la moindre trace (quant aux autres, nous ne les aimons plus qu’en fragments pour leur plus grande chance, et même la nôtre).

J’ai fait du porte à porte, dénichant des interlocuteurs potentiels, des spécialistes du champ que j’investissais, et après un premier mail timide qui demandait l’autorisation d’ouvrir le jeu, je dévoilais ce que j’appelais « mon intuition » :

L’intuition de ce travail serait de cet ordre : il y aurait un lien entre le marasme de la gauche actuelle et le déni de la pulsion de pouvoir. Or la psychanalyse, et notamment Deleuze-Guattari et Derrida (plutôt que les institutions psychanalytiques elles-mêmes dupes de cette pulsion de pouvoir), auraient dû conduire à des traductions de leurs concepts dans le domaine juridico-politique afin de déconstruire la vieille souveraineté qui encadre encore l’Etat Nation et la notion de sujet juridique aujourd’hui. Il n’existerait pourtant pas de courant, à ma connaissance, qui travaillerait autour de cette problématique.

Il s’agirait d’interroger les positions politiques en termes de pulsion de pouvoir, de résistance et d’auto-immunité en partant d’un cas précis : la résistance de la psychanalyse à la critique deleuzo-guattarienne avec en parallèle, la résistance deleuzo-guattarienne à la pulsion de pouvoir (tel que je l’analyse à partir du dernier séminaire de Derrida sur la question de la bêtise, La bête et le souverain, Galilée, 2008). 

En essayant d’éclaircir des résistances dans des champs ou chez des auteurs qui n’auraient pas dû être dupes des jeux de l’inconscient pourtant au cœur de leurs pensées, l’objectif serait peut-être de proposer d’autres machinations politiques qui prendraient en compte la pulsion de pouvoir.

La pharmacie de Platon, un Anti-Œdipe avant l’Anti-Œdipe

Lundi 7 avril 2014

Cet extrait est tiré de l’article « Le collectif commence seul, c’est-à-dire à plusieurs » (E. Jabre) qu’on peut retrouver dans Bêt(is)es, le numéro 81 de Chimères 

« [...]

« Quand Lacan fait dire à la chose « Moi, la vérité, je parle », cette chose est une tradition, une énorme racine à laquelle les hommes et les femmes sont assujettis. Elle parle et de quoi parle-t-elle? D’elle-même. Comme toutes les voix, elle s’entend parler. Elle se reproduit comme pratique, éthique et institution à travers la parole. L’authenticité de la parole pleine y est garantie par la voix du père et la logique du signifiant. Pour Freud comme pour Lacan, il n’y a qu’une libido et elle est nécessairement masculine. Il ne peut pas y avoir de différence entre l’homme et la femme, car il n’y a qu’une raison, la raison, qui a toujours raison pour la simple raison qu’elle s’entend (auto-affection).»[1]

Derrida s’en prend à cette position à travers de nombreux textes qui visent entre autres Freud, Lacan, et Platon. La pharmacie de Platon[2] serait d’ailleurs une sorte d’Anti-Œdipe qui précède L’Anti-Œdipe[3] de Deleuze et Guattari, et qui déconstruit la logique lacanienne du signifiant à partir de la question de l’écriture. D’après l’analyse de Derrida, Socrate dans Phèdre déconsidère l’écriture, un « pharmakon » qui, en voulant suppléer au logos, appartiendrait à la mauvaise répétition, une répétition morte, incapable de répondre de soi-même contrairement à la parole. L’écriture est délaissée par le père, orpheline, elle ne peut pas se défendre :

« Le logos est issu d’un père. […] L’écriture n’est pas un ordre de signification indépendant, c’est une parole affaiblie, point tout à fait une chose morte : un mort-vivant, une vie en sursis, une vie différée, un semblant de souffle ; […] Courant les rues, il ne sait même pas qui il est, quelle est son identité, s’il en a une, et un nom, celui de son père. […] Il répète la même chose lorsqu’on l’interroge à tous les coins de rue, mais il ne sait plus répéter son origine. […] Lui-même déraciné, anonyme, sans attache avec son pays et sa maison, ce signifiant presque insignifiant est à la disposition de tout le monde. […]. » [4]

Derrière ce réquisitoire contre l’écriture, Derrida débusque la métaphysique de la présence, de l’être-là, l’auto-affection par la parole, la volonté violente d’exclure la « différance » au nom de la vérité du père.

« L’être-là est toujours celui d’une parole paternelle. Et le lieu d’une patrie. L’écriture, le hors-la-loi, le fils perdu. » [5]

Derrida défend alors la « cause » de l’écriture en faisant appel à la notion de supplément, où l’écriture vient doubler la parole « vraie » sans qu’on ne puisse plus les opposer simplement l’une à l’autre :

« Le vrai et le non-vrai sont des espèces de la répétition. Et il n’y a de répétition possible que dans le graphique de la supplémentarité, ajoutant, au défaut d’une unité pleine, une autre unité qui vient la suppléer, étant à la fois assez la même et assez autre pour remplacer en ajoutant. […] C’est-à-dire qu’on ne peut pas plus les « séparer » l’une de l’autre, les penser à part l’une de l’autre, les « étiqueter », qu’on ne peut dans la pharmacie distinguer le remède du poison, le bien du mal, le vrai du faux, le dedans du dehors, le vital du mortel, le premier du second, etc. » [6]

Pourtant, dans L’Anti-Œdipe, Deleuze et Guattari, s’ils suivent Derrida (qu’ils ont lu, citant notamment La Grammatologie[7]), ne semblent considérer l’hypothèse derridienne qu’en partie :

« Il (Derrida) a raison encore de lier l’écriture et l’inceste. Mais nous n’y voyons aucun motif de conclure à la constance d’un appareil de refoulement sur le mode d’une machine graphique qui procèderait autant par hiéroglyphe que par phonèmes. » [8]

Il s’agit du bloc magique de Freud que Derrida reprend et qui décrirait l’appareil psychique comme une machine d’écriture qui peut « retenir tout en restant capable de recevoir ».

Et Deleuze et Guattari se lancent à leur tour dans un réquisitoire contre l’écriture sous un angle différent que celui employé par Platon, et qui vise cette fois à démonter le monde de la représentation et la loi du père. En soudant l’écriture au logos qui lie le désir au phallus et à la loi, ils n’envisagent l’écriture que du côté du despote en opposition au plan d’immanence :

« Le rabattement de la graphie sur la voix a fait sauter hors de la chaîne un objet transcendant […] et s’il le faut, on mettra le verset dans une bouteille remplie d’eau pure, on boira l’eau du verset […] L’écriture, premier flux déterritorialisé, buvable à ce titre :  il coule du signifiant despotique […] Le signifiant, c’est le signe devenu signe du signe, le signe despotique ayant remplacé le signe territorial […] Le signe devenu lettre. » [9]

Si logos, phallus, écriture et voix ont également partie liée chez Derrida[10], l’écriture tient également la position du hors-la-loi, de celui qui déjoue le lien au père, errant et abandonné, et la position de Deleuze-Guattari pourrait alors paraître trop tranchée. En effet, il semblerait que la scène de l’écriture se dédouble toujours comme Derrida l’analyse encore chez Freud :

« Derrida aura remarqué qu’en nous faisant la scène de l’écriture, Freud aura laissé la scène se dédoubler, se répéter et se dénoncer elle-même dans la scène. De cette lecture de Freud, l’écriture tout entière de Derrida et sa pensée de l’écriture porteront la trace, voire le concept d’architrace de l’effacement de l’origine. Tout aura commencé en se dédoublant et dans l’itérabilité. La signification sera toujours ambiguë, multiple et disséminée. Ce sera, avant la lettre, les premiers éléments d’une critique du structuralisme en psychanalyse et de la primauté, voire de l’impérialisme, du signifiant et de l’ordre symbolique tels qu’ils sont développés dans la conception lacanienne. » [11]

Dans leur « trahison » de Lacan, Deleuze et Guattari resteraient peut-être paradoxalement trop fidèles lorsqu’ils le (féli)citent d’avoir « reconduit le signifiant à la source, à sa véritable origine, l’âge despotique ». Pour Derrida, il ne s’agirait que d’une réduction phallogocentrique qui veut mettre à l’abri le signifiant par la voix, par la présence à soi. Deleuze et Guattari ne compliquent leur schéma qu’à partir de leur réflexion sur la machine d’écriture et la déterritorialisation qu’ils approfondissent chez Kafka[12], où il est question de faire fuir le signifiant vers un usage intensif de la langue[13].

Derrida, quant à lui, fait appel à la notion de trace qui déjoue la remontée à l’origine d’un signifiant transcendantal :

« La trace n’est pas seulement la disparition de l’origine, elle veut dire ici […] que l’origine n’a même pas disparu, qu’elle n’a jamais été constituée qu’en retour par une non-origine, la trace, qui devient ainsi l’origine de l’origine. Dès lors, pour arracher le concept de trace au schéma classique qui la ferait dériver d’une présence ou d’une non-trace originaire et qui en ferait une marque empirique, il faut bien parler de trace originaire ou d’archi-trace. Et pourtant nous savons que ce concept détruit son nom et que, si tout commence par la trace, il n’y a surtout pas de trace originaire. » [14]

La scène de l’écriture chez Deleuze/Guattari et Artaud

S’il y a la même dénonciation du phallogocentrisme chez Deleuze-Guattari et chez Derrida (vérité du phallus transcendant, la loi du père portée par la voix), la mise en cause de l’écriture par les auteurs de L’Anti-Œdipe ne serait pas sans similitude avec celle que Derrida relève dans le projet d’Artaud et son théâtre de la cruauté sur lequel s’appuient les deux philosophes pour lever le « mur de la représentation ».

Artaud est à la recherche d’une parole plus intense, celle-ci ayant été amoindrie par les mots qui ne sont que des signes et qui appartiennent à la logique de la représentation :

  « Le mot est le cadavre de la parole psychique et il faut retrouver avec le langage de la vie même, “la parole d’avant les mots”. » [15]  Comme la parole est malade, Artaud doit trouver un moyen de lui rendre la santé et l’intensité du sacré :

« Nous avons vu pour quelles raisons les hiéroglyphes devaient se substituer aux signes purement phoniques. Il faut ajouter que ceux-ci communiquent moins que ceux-là avec l’imagination du sacré. “Et je veux avec le hiéroglyphe d’un souffle retrouver une idée du théâtre sacré. ” » [16]

Derrida explore ce renversement entre les niveaux psychiques également chez Freud lorsque ce dernier analyse la scène du rêve où se superposent la parole issue de l’écriture alphabétique liée à la voix (logique de la représentation) et une écriture hiéroglyphique où se met en scène le théâtre de la cruauté de l’inconscient :

« En vérité, comme le fera Artaud, Freud visait alors moins l’absence que la subordination de la parole sur la scène du rêve. Loin de disparaître, le discours change alors de fonction et de dignité. Il est situé, entouré, investi (à tous les sens de ce mot), constitué. Il s’insère dans le rêve comme la légende des bandes-dessinées, cette combinaison picto-hiéroglyphique dans laquelle le texte phonétique est l’appoint, non le maitre du récit […] L’écriture générale du rêve déborde l’écriture phonétique et remet la parole à sa place. Comme dans les hiéroglyphes ou les rébus, la voix est circonvenue. » [17]

Quant à Deleuze et Guattari, s’ils font référence dans L’Anti-Œdipe à cet article de Derrida pour décrire l’interprétation psychanalytique comme un dispositif de décodage absolu qui se distingue de la simple création d’un nouveau code[18], ils reprennent à Artaud le motif de l’affaiblissement de la voix par la contamination des mots et de l’écriture[19]. Les mots prennent le dessus sur les corps :

« Dans la mesure où le graphisme est rabattu sur la voix (ce graphisme qui s’inscrivait naguère à même les corps), la représentation de corps se subordonne à la représentation de mots. » [20]

Alors que pour Deleuze et Guattari, dans la représentation territoriale qui précède le monde de la représentation et du signifiant :

« Tout est actif, agi, réagissant dans le système, tout est en usage et en fonction. […] la chaîne des signes territoriaux ne cesse de sauter d’un élément à un autre […] une manière de sauter qui ne se recueille pas dans un vouloir-dire, encore moins dans un signifiant. » [21]

Pour les auteurs de l’Anti-Œdipe, l’écriture serait alors du côté de la « simulation »[22]. C’est une forme de décadence, de nihilisme au sens nietzschéen.

Simulation du réel par le surcodage de l’écriture pour Deleuze-Guattari, quand Derrida utilise la notion de supplément qui double, ajoute, remplace, prolifère sans logique dialectique.

On peut s’étonner de l’emploi de cette notion de « simulation », quand on sait que Deleuze est également le penseur du simulacre, concept qu’il développe dans Simulacre et philosophie antique[23], et qu’il y cite même La pharmacie de Platon de Derrida contre le modèle platonicien de la représentation. Pour reprendre Deleuze dans cet article :

« La simulation, c’est le phantasme même, c’est-à-dire l’effet de fonctionnement du simulacre en tant que machinerie, machine dionysiaque. […] La simulation ainsi comprise n’est pas séparable de l’éternel retour ; car c’est dans l’éternel retour que se décident le renversement des icônes ou la subversion du monde représentatif. » [24]

Or, voilà que dans L’Anti-Œdipe, la simulation s’est mise au service du monde de la représentation qui, plutôt que d’être subverti par le simulacre, s’avère être lui-même issu d’un simulacre qui, au final, nous trompe. Le simulacre aurait été subverti par lui-même (un autre simulacre n’est jamais qu’un simulacre) en donnant lieu à la représentation.

Sans doute une des raisons pour laquelle Deleuze abandonne la notion de simulacre, encore trop lié au platonisme, pour celle de multiplicités[25].

Il n’en reste pas moins que la simulation laisse supposer qu’il y a eu malfaçon, vol, qu’un désir « authentique » a été piégé, qu’elle aurait produit la réalité à la place de l’autre réalité qui n’a pu avoir lieu. Ce vol, on en retrouve encore le schéma chez Artaud :

« Dieu est la fausse valeur  comme le premier prix de ce qui naît. Et cette fausse valeur devient la Valeur puisqu’elle a toujours doublé la vraie valeur qui n’a jamais existé ou, ce qui revient au même, n’a jamais existé qu’avant sa propre naissance. » [26]

[...] »


[2] J. Derrida, La Pharmacie de Platon, Points, Editions du Seuil, 1ère version dans Tel Quel n°32 et 33, 1968.

[3] Gilles Deleuze & Félix Guattari, L’Anti-Œdipe, Paris, Editions de Minuit, 1972.

[4] J. Derrida, La Pharmacie de Platon, op. cit.,  p 179.

[5] Ibid., p 182.

[6] Ibid., p 210, 211.

[7] J. Derrida, De la Grammatologie, Paris, Editions de Minuit, 1967.

[8] G. Deleuze & F. Guattari, L’Anti-Œdipe, op. cit  p 240. Ils font référence à l’article de Derrida « Freud et la scène de l’écriture », in L’écriture et la différence, Ed. du Seuil, 1967.

[9] Ibid., p 243, p 244.

[10] Derridex, http://www.idixa.net/Pixa/pagixa-0509051735.html : « Il y a pour Derrida non pas une écriture, mais deux. L’écriture phonétique, alphabétique, est indissolublement liée à la voix, à la parole, au sujet et au logos ; tandis que l’écriture proprement dite ou archi-écriture, celle de la différance, est une force de dislocation du phonocentrisme et du logocentrisme, une différence pure, une différence redoutable. Entre les deux, entre le discours et l’autre texte, il n’y a ni médiation, ni dialectique, ni réconciliation. Pourtant, les deux textes ont une racine commune (la trace). On ne peut pas les décrire séparément car ils communiquent entre eux et coexistent depuis toujours dans la pensée occidentale. L’écriture ne commence pas, nous y sommes toujours déjà assignés, et elle ne finit pas non plus, malgré la clôture de la métaphysique. »

[11] René Major, Derrida, lecteur de Freud et de Lacan, Études françaises, Derrida lecteur, Volume 38, numéro  1-2 (2002).

[12] G. Deleuze & F. Guattari, Kafka, Pour une littérature mineure, Ed. de Minuit, 1965, p 109 : « Comme si la machine d’écriture n’était pas une machine aussi, tantôt prise dans des machines capitalistes, bureaucratiques ou fascistes, tantôt traçant une ligne révolutionnaire modeste. »

[13] Et Deleuze et Guattari ne s’intéressent pas au rapport entre écriture et voix, préférant insister sur la langue comme système ordonné et figé versus la langue comme ensemble instable et fuyant.

[14] J. Derrida, De la Grammatologie, op. cit., p 90.

[15] J. Derrida, « La clôture de la représentation », in L’écriture et la différence, Ed. du Seuil, 1967,  p 352 : « Ce nouveau langage… part de la NECESSITE de la parole beaucoup plus que de la parole déjà formée (p132). En ce sens le mot est le signe, le symptôme d’une fatigue de la parole vivante, d’une maladie de la vie. »

[16] Ibid., p 357.

[17] J. Derrida « Freud et la scène de l’écriture », in L’écriture et la différence, Ed. du Seuil, 1967, p 322, 323.

[18] G. Deleuze & F. Guattari, L’Anti-Œdipe, op. cit,  p 359 : « Il apparaît alors que l’intérêt de la psychanalyse pour le mythe (ou la tragédie) est un intérêt essentiellement critique, puisque la spécificité du mythe, objectivement compris, doit fondre au soleil subjectif de la libido : c’est bien le monde de la représentation qui s’écroule, ou tend à s’écrouler. »

[19] Ibid., p 243, 244 : « Le désir n’ose plus désirer, devenu désir du désir, désir du désir du despote. »

[20] Ibid., p 248.

[21] Ibid., p 242.

[22] Ibid.,  p248 : « elle (la simulation) ne remplace pas la réalité, elle ne vaut pas pour elle, mais s’approprie la réalité dans l’opération du surcodage despotique, elle la produit sur le nouveau corps plein qui remplace la terre ».

[23] G. Deleuze, « Simulacre et philosophie antique », in Logique du sens, Paris, Ed. de Minuit, 1969,  p 296.

[24] Ibid., p 303.

[25] « Lettre-préface de Gilles Deleuze » in La philosophie de Gilles Deleuze, Jean-Clet Martin, Paris, Payot et Rivages, 1993, p 8. « Vous voyez très bien l’importance pour moi de la notion de multiplicité : c’est l’essentiel. Et [...] multiplicité et singularité sont essentiellement liées (« singularité » étant à la fois différent d’ « universel » et d’ « individuel »). « Rhizome » est le meilleur mot pour désigner les multiplicités. En revanche, il me semble que j’ai tout à fait abandonné la notion de simulacre, qui ne vaut pas grand chose. Finalement, c’est Mille plateaux qui est consacré aux multiplicités pour elles-mêmes (devenirs, lignes, etc.). »

[26] J. Derrida « La parole soufflée », in L’écriture et la différence, Ed. du Seuil, 1967, p 270.